Hannibal, Sous les remparts de Rome
Arrivé à la tombée de la nuit, deux
jours plus tard, à la veille du solstice d’été, date peu propice aux combats
pour des raisons religieuses, Caïus Flaminius Nepos établit son camp à la hâte
et ne prit pas la peine d’envoyer des patrouilles reconnaître les environs.
Lorsque le
jour se leva, une brume épaisse, inhabituelle pour la saison, recouvrait le lac
et l’entrée du défilé où les légions s’engagèrent d’un pas rapide, impatientes
d’atteindre la plaine où se situait le camp carthaginois. C’est alors
qu’Hannibal ordonna à ses hommes embusqués sur les hauteurs et dans les gorges
près du début de la passe, de fondre sur l’ennemi qu’il chargea à la tête de
ses mercenaires ibères et de ses vétérans carthaginois. Encerclés de toutes
parts, les légionnaires, en dépit des efforts déployés par les leurs, rompirent
leurs rangs et se débandèrent dans tous les sens. Faisant preuve d’un courage
qui compensait son manque d’intelligence, le consul tenta de rassembler les
fuyards et de les exhorter à se battre comme des lions en leur disant :
« Vous ne vous en tirerez pas avec des vœux et des supplications aux
dieux ; ce qu’il vous faut, c’est du cran et du courage ; votre épée
vous ouvrira un chemin au milieu de vos ennemis. Bien souvent moins on a peur
et moins on court de danger. »
Durant
près de trois heures, les adversaires s’affrontèrent dans une joute sans pitié.
Ils étaient tellement occupés à s’entre-tuer qu’aucun ne remarqua le violent
séisme qui fit rage à faible distance de là, détruisant de nombreuses cités et
provoquant l’éboulement de pans entiers de la montagne. Caïus Flaminius Nepos
était partout à la fois et facilement reconnaissable à sa cuirasse d’apparat et
à son manteau de commandement. Parmi les combattants gaulois engagés contre
lui, figuraient des guerriers insubres dont il avait, des années auparavant,
cruellement ravagé les villages, passant au fil de l’épée leurs populations.
L’un d’entre eux, un nommé Ducarius, qui avait perdu dans ces massacres sa
femme et ses enfants, résolut de les venger et, éperonnant son cheval, se lança
dans la mêlée, fauchant de sa lourde épée les cavaliers qui protégeaient leur
chef. Arrivé à sa hauteur, il se tourna vers ses compagnons pour leur dire :
« Voici l’homme qui a détruit notre armée, ravagé nos champs et nos
villes. Je vais l’immoler à la mémoire des nôtres. » Joignant le geste à
la parole, il transperça le consul de sa lance avant de lui trancher la tête et
de rejoindre ses frères d’armes en poussant un terrible hurlement.
La mort de
Caïus Flaminius Nepos provoqua la débandade des Romains. Les uns tentaient
d’escalader les pentes de la montagne mais glissaient dans des précipices ou
tombaient, la tête fracassée par les balles d’argile lancées avec une dextérité
incroyable par les frondeurs baléares. Les autres plongèrent dans les eaux du
lac mais perdirent vite pied. Ceux qui avaient échappé à la noyade, revenus sur
la rive, étaient égorgés par les cavaliers numides ivres de sang. Seuls six mille
fantassins de l’avant-garde parvinrent à franchir les lignes ennemies pour se
réfugier dans une ville voisine déjà investie par les troupes de Maharbal qui
les firent prisonniers.
Au soir de
la bataille, Hannibal rayonnait de joie. Rome venait de subir la défaite la
plus importante de son histoire et avait perdu quinze mille hommes alors que
lui n’avait eu que mille cinq cents tués, principalement des mercenaires
gaulois. Il ordonna à ses soldats de ramasser les armes abandonnées par les
légionnaires car il comptait en équiper ses soldats. Puis, fidèle en cela à la
tradition des Barca, il ordonna que l’on rendît les honneurs funèbres aux
officiers ennemis tombés pour la défense de leur patrie et dont les corps se
consumèrent toute la nuit sur d’immenses bûchers allumés à la hâte.
***
À Rome, le
préteur Marcus Pomponius Matho dut annoncer du haut des rostres la défaite
subie par Caïus Flaminius Nepos au lac Trasimène ainsi que sa mort avec
plusieurs milliers de ses hommes. Par une singulière ironie du sort, les
rostres étaient cette colonne érigée jadis avec les éperons des navires pris
aux Carthaginois lors d’une bataille au large des côtes siciliennes. La
consternation et le deuil s’abattirent sur la ville où des femmes se
rassemblaient chaque jour,
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