Hasdrubal, les bûchers de Mégara
tout officier digne de ce nom se devait
d’en posséder. J’eus beau suivre le conseil de Mutumbaal, ne me faire aucune
illusion, je fus douloureusement déçu par ce que je découvris en prenant mes
fonctions. Oroscopa était une grosse bourgade endormie juchée sur une colline
dominant une plaine immense. C’était, à première vue, une position stratégique
importante mais l’enceinte de la cité tombait en ruine. Seuls restaient debout
deux tours et quelques pans de muraille. Partout ailleurs, les fossés avaient
été comblés et les pierres des fortifications avaient été utilisées par les
habitants pour agrandir ou consolider leurs demeures.
Les
soldats avaient déserté le fort pour s’installer en ville chez leurs
concubines. Ils n’avaient pas touché leur solde depuis plus d’une année et
vivaient aux crochets de la population, trop heureuse de les entretenir plutôt
que de les voir se livrer à des exactions ou à des pillages. La plupart du
temps désœuvrés, ils prêtaient main-forte à leurs voisins lors des récoltes ou
des vendanges.
Leur
commandant, Bodeshmoun, n’avait pas été prévenu de mon arrivée et m’accueillit
plutôt froidement :
— Ainsi,
Carthage daigne se souvenir de nous. Mieux, elle nous envoie comme officier un
gamin alors que je suffis amplement à la tâche. Je n’ose te souhaiter la
bienvenue faute d’avoir les moyens nécessaires pour le faire. Installe-toi où
tu veux si tu trouves un logis habitable dans ce fort, ce dont je doute.
Moi-même, je vis avec ma fille dans deux mauvaises pièces où nous étouffons
l’été et gelons l’hiver. C’est la seule partie de la caserne à être restée
intacte et, tout fils d’un membre du Conseil des Cent Quatre que tu sois, je ne
te laisserai pas m’en déloger.
— Ce
n’est nullement mon intention. Je ferai comme tes subalternes et je suis sûr
que les familles riches de la ville se disputeront l’honneur de me recevoir,
croyant ainsi s’attirer les bonnes grâces de mon père. Plus tard, quand nous
aurons reconstruit la forteresse, je te promets que tu disposeras de quartiers
conformes à ton rang.
— Je
ne te savais pas magicien, Hasdrubal. Avec quel argent comptes-tu mener ces
travaux ? Ce serait déjà justice que le Sénat nous verse les sommes qu’il
nous doit.
— Mutumbaal
a décidé d’y pourvoir lui-même quitte à se faire rembourser par les comptables
du Trésor. Vos soldes vous seront distribuées dès demain matin. Quant aux
crédits affectés à la réfection de ce poste, il les obtiendra d’Hannon le Rab
sans difficulté.
— Voilà
bien la première bonne nouvelle que j’apprends depuis des lunes. Pardonne mon
ton brusque. C’est celui d’un homme amer qui n’a pas mérité l’ingratitude dont
ses supérieurs font preuve envers lui. Je croupis ici depuis dix ans sans
recevoir d’instructions de mes chefs. C’est à croire que Carthage a oublié
jusqu’à mon existence. Plus d’une fois, il m’est arrivé de trembler en songeant
à ce qui pourrait se passer si nos voisins numides décidaient de nous attaquer.
La chose ne s’est heureusement jamais produite car je n’aurais pas été en
mesure de leur offrir la moindre résistance. Je suis ravi des changements que
semble annoncer ta venue et nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler.
Pour l’heure, trouve à te loger en ville, toi et ta suite.
— Mon
intendant, Baalnawas, s’est sans doute déjà occupé de ce détail. Ce soir, pour
fêter mon arrivée, j’ai l’intention de donner un banquet et j’espère que tu me
feras l’honneur d’y assister en compagnie de ta fille. Sa vie, ici, n’a pas dû
être toujours plaisante et elle mérite d’être récompensée de sa patience.
— Je
te remercie de ta générosité mais je doute fort qu’elle accepte de se joindre à
nous.
— Parce
qu’elle n’a pas de robe assez belle pour paraître en public ? Ne proteste
pas, j’ai bien compris ce que cachaient tes paroles. Je suis sûr que ma logeuse
se fera un plaisir de lui prêter une tenue d’apparat. À ce soir donc.
Durant mon
entretien avec Bodeshmoun, Baalnawas n’avait pas chômé. Il avait trouvé pour
notre petite troupe un logement dans la demeure d’Abdmelk, suffète d’Oroscopa.
Ce personnage replet, grand propriétaire terrien, connaissait mon père et il
tint à me faire visiter lui-même mes appartements : une série de pièces
somptueusement meublées disposées autour
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