Hasdrubal, les bûchers de Mégara
m’envahit
soudainement et je dus faire un violent effort sur moi-même pour ne pas
succomber à la torpeur qui s’empara de moi. Rassemblant mes forces, j’entamais
avec mon interlocuteur une longue et âpre discussion. Masinissa fit preuve
d’une certaine modération. Il mit comme condition à la conclusion d’un
armistice le paiement par Carthage en cinquante annuités d’une indemnité de
cinq cents talents d’argent, le rappel des partisans d’Itherbaal jadis bannis
de la cité d’Elissa et la livraison des déserteurs de son armée. Je fis tout
pour plaider la cause d’Asasis et de Juba, sachant que le monarque les ferait
exécuter. Je ne pus toutefois le faire fléchir et dus, la mort dans l’âme, me
résigner à accepter toutes les exigences du souverain, sous réserve d’une
ratification ultérieure de l’accord par le Conseil des Cent Quatre. Restait à
déterminer le sort qui attendait les mercenaires et les soldats carthaginois.
Seraient-ils considérés comme des prisonniers de guerre ou pourraient-ils se
retirer librement ? Masinissa se montra particulièrement habile. Il me
promit que mes hommes seraient autorisés à regagner Carthage s’ils
s’engageaient à déposer leurs armes et à quitter, un par un, leur camp. À ces
mots, je réagis alors vivement :
— Quelle
garantie aurais-je que tu respecteras tes engagements ?
— En
ce qui me concerne, ma parole doit te suffire. Nul n’a pu me traiter de parjure
durant ma longue existence et je n’entends pas le devenir alors que la mort me
guette.
— Ne
prends pas en mauvaise part ce que je vais te dire. Notre ville t’a eu
longtemps pour allié et tu combattis aux côtés de nos troupes en Ibérie et le
père de Scipion l’Africain a perdu la vie alors qu’il était encerclé par tes
soldats comme je le suis moi-même aujourd’hui. Or, après la capitulation de
Carthagène et de Gadir, tu as trahi Hannibal en t’alliant aux Romains !
— Vous,
Puniques, avez une singulière manière d’écrire l’histoire. Vous omettez
systématiquement ce qui pourrait nuire à votre réputation. Sache que j’ai
toujours été fidèle aux Barcides et à l’amitié qui m’unissait au fils
d’Hamilcar et à ses frères. Si j’ai changé de camp, la faute en incombe à leurs
adversaires au sein de votre Sénat. Profitant de leur absence, ils ont, à la
mort de mon père Gaïa, pris parti pour son rival Syphax et m’ont dépossédé de
la couronne qui me revenait de droit. C’est dans ces conditions que j’ai dû
m’allier à Scipion l’Africain afin que justice me soit rendue. Ta ville est la
première responsable de la rupture de notre alliance et tes amis n’ont qu’à
maudire l’attitude irresponsable de leurs pères au lieu de m’accuser de
perfidie.
— Je
ne puis que te donner raison. A ta place, j’aurais agi de la même façon.
Toutefois, comprends qu’il m’est difficile de demander à mes soldats de déposer
leurs armes et de se retrouver ainsi à ta merci.
— Leur
sort sera plus enviable que celui que tu réservas aux cavaliers qui avaient
accompagné mes fils Gulussa et Micipsa à Carthage. Ils sont repartis munis d’un
sauf-conduit signé de ta main et c’est toi qui les as attaqués alors qu’ils
franchissaient à gué le fleuve Bagradas. Crois-tu que j’ai oublié cet
affront ? Je m’en souviendrai jusqu’à la fin de mes jours. Néanmoins, je
n’ai pas l’intention de me venger et je te jure par tout ce que j’ai de plus
sacré que tes soldats n’ont rien à craindre de moi. Je suis même prêt à te
livrer des otages qui répondront sur leur vie de la sécurité des tiens.
— Ne
te donne pas cette peine. J’ai confiance en toi. Je te demande simplement de me
laisser quelques jours pour régler tous les détails de notre reddition. Il me
faudra désarmer les hommes d’Asasis et de Juba par surprise. Or mes mercenaires
sont trop faibles pour le faire.
— J’ai
tout prévu, rétorqua Masinissa. J’autoriserai le passage d’un convoi de
ravitaillement afin que tes troupes puissent reprendre des forces. Quand cela
sera fait, tu me livreras mes transfuges. Le lendemain, toi et les tiens serez
libres de partir. Bien entendu, toi et tes officiers, vous serez autorisés à
conserver vos armes et vous pourrez surveiller à distance la sortie de vos
hommes du camp. Une fois désarmés, ils vous rejoindront et vous regagnerez
Carthage en toute sécurité.
— Qu’il
en soit fait
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