Hasdrubal, les bûchers de Mégara
résoudre à prendre la fuite en direction de Carthage,
contournant soigneusement Oroscopa dont la garnison, massée sur les murs, avait
observé la scène sans réagir. Arrivé à Sicca, j’eus la surprise d’y trouver une
délégation du Sénat carthaginois conduite par Hannon le Rab en personne. Ce
dernier écumait littéralement de rage et m’apostropha grossièrement :
— Tu
es le premier responsable de la tragédie qui vient de se produire. Les fils de
Masinissa ont voulu de la sorte se venger de l’embuscade que tu leur avais
tendue alors qu’ils regagnaient leurs États munis d’un sauf-conduit en bonne et
due forme. Avec ton ami Azerbaal, tu as ourdi, sans me consulter, un stratagème
qui s’est retourné contre toi. Des milliers de braves ont payé de leur vie ta
perfidie et leur souvenir hantera longtemps tes nuits.
— Ne
m’accable pas. J’ai eu tort d’agir comme je l’ai fait mais je m’en étais
expliqué avec le père de Gulussa et il m’avait donné sa parole d’honneur qu’il
ne chercherait pas à laver dans le sang cet affront. Or, en laissant massacrer
mes guerriers, il s’est rendu coupable d’un abominable parjure que nos dieux ne
manqueront pas de punir sévèrement.
— Tu
es encore plus stupide que je ne le pensais ! Ne comprends-tu pas ce qui
est arrivé ?
— Puisque
tu as l’air si bien informé, j’attends tes explications car sache que je ne te
laisserais pas m’accuser sans réagir.
— Masinissa
s’est arrangé pour te jouer un tour à sa façon. Tel que je le connais, il t’a
juré par ses grands dieux qu’il tiendrait scrupuleusement les engagements qu’il
avait pris à ton égard. Tu l’as cru et, au mépris de toute prudence, tu as
voulu jouer à la belle âme en refusant qu’il te fournisse en garantie des
otages. C’était ce qu’il attendait de toi et tu es tombé dans son piège. Il a
prétexté une mauvaise fièvre pour ne pas assister à la cérémonie. Voilà
pourquoi tu as eu affaire à ses fils qui n’étaient pas tenus par les promesses
de leur père. Après t’être laissé encercler sur une colline où nul secours ne
pouvait te parvenir, tu es tombé dans un autre traquenard. Désormais, par ta
faute, notre ville, privée d’armée, se trouve à la merci de ses ennemis.
Gardes, fit Hannon le Rab, emparez-vous de cet homme. Qu’il soit chargé de
chaînes et conduit en prison où il attendra son procès avec ses complices.
Avec
Azerbaal, arrêté dans sa propriété du Beau Promontoire, et l’un de ses
conseillers, un nommé Carthalon, je comparus devant le Conseil des Cent Quatre.
Lorsque nous pénétrâmes dans l’enceinte du temple d’Eshmoun, sous forte
escorte, nous eûmes la surprise de découvrir parmi nos juges Itherbaal et les
rares sénateurs qui avaient survécu à leur bannissement de la ville en raison
de leurs sympathies pour Masinissa. Carthalon fut le premier à être interrogé
par Hannon le Rab :
— Qu’as-tu
à dire pour ta défense ? Tu as été mon plus fidèle conseiller pendant des
années et ton père, dont tu portes le nom, rougirait de honte s’il était encore
vivant en te voyant ici. Lui s’est toujours opposé aux menées factieuses des
Barcides et a combattu Hamilcar et Hannibal avec un courage et une
détermination qui firent l’admiration des vrais patriotes. Que dirait-il en
apprenant que tu as rejoint le camp de ses plus farouches ennemis pour des
raisons qui m’échappent ? As-tu cédé à l’appât du gain et aux promesses
mirifiques que n’ont pas manqué de te faire Hasdrubal et ses complices ?
— N’ajoute
pas la calomnie aux malheurs qui m’accablent déjà. L’argent ne m’intéresse pas
car j’ai eu la chance de naître dans une famille fortunée. J’ai agi par
conviction pour expier les fautes commises par mon père. Sur son lit de mort,
celui-ci m’a confié un secret qu’il m’a été particulièrement dur de dissimuler
pendant des années. Il m’a révélé qu’il avait été l’instigateur de la mort
d’Hamilcar Barca. Ce dernier, vous vous en souvenez, a péri dans une embuscade
alors qu’il assiégeait une cité ibère révoltée contre notre autorité. Ses
meurtriers, des guerriers indigènes, avaient été prévenus par Carthalon et par
un ancien intendant d’Hamilcar – ce dernier avait fait périr son fils
à la place d’Hannibal lors d’un sacrifice offert à Baal Hammon –, de
l’itinéraire qu’emprunterait le plus grand de
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