Hasdrubal, les bûchers de Mégara
nous
ont expliqué d’un ton qui ne souffrait aucune réplique que les caisses de
l’État étaient vides et que nous étions bien mal avisés de réclamer notre dû.
Or, tu le sais bien, jamais Carthage n’a été aussi prospère du fait de l’afflux
de commerçants dans notre port. Vous avez recruté à prix d’or des milliers et
des milliers de mercenaires et ceux-ci, contrairement à l’usage, ont reçu
chacun un talent. Vous faites preuve de prévenance envers les étrangers mais
vous méprisez ceux de vos compatriotes qui, plutôt que de s’enrichir dans le
négoce, ont choisi d’embrasser la carrière militaire. L’insolence de ces
comptables du Trésor public a provoqué la mutinerie dirigée par Bostar et dont
j’ai été la victime. Pourtant, même si je désapprouve son geste, je ne puis lui
donner entièrement tort. Et je sais que s’il le fallait, il serait prêt à
mourir les armes à la main pour défendre notre ville si les Puniques et les
Romains voulaient véritablement la détruire.
— C’est
ce qu’ils s’apprêtent à faire.
— Disons
que vous voulez nous le faire croire. La réalité est bien différente. Tu sais
mieux que moi que Masinissa n’a aucun intérêt à notre disparition car les
Romains en profiteraient pour s’implanter sur nos rivages et annexer son royaume.
— Je
te le concède mais tu ne peux nier que Marcus Porcius Caton rêve de voir notre
cité rasée.
— J’ai
pu m’entretenir, durant ma captivité, avec Publius Cornélius Scipion
Aemilianus, l’un des amis de Gulussa. Il ne partage pas ce point de vue.
— Que
t’a-t-il dit ?
— Que
Rome avait uniquement l’intention de punir ceux qui avaient eu l’impudence de
prendre les armes contre les Numides sans qu’elle les ait autorisés à le faire.
Par contre, toutes les cités puniques qui accepteraient de vivre en paix avec
Masinissa seraient traitées en alliées du Sénat. J’ai été frappé par cette
réflexion car je redoute qu’il ne cherche à détacher de nous les villes
habitées par nos frères de race dans cette région.
— Aucune
d’entre elles, Bodeshmoun, n’accepterait de séparer son sort du nôtre.
— Je
crains fort, Hasdrubal, qu’Utique, Acholla [4] , Thapsus [5] , Leptiminus [6] et Hadrim [7] ne soient tentées par cette perspective.
— Pour
quelles raisons le feraient-elles ?
— Il
faudrait le demander à leurs magistrats. Toutefois, je connais bien Utique dont
est originaire ma mère. Sa fondation est antérieure à celle de Carthage et elle
a toujours veillé à conserver son indépendance. Je puis t’assurer que ses
habitants nous haïssent désormais.
Ils se
plaignent de la concurrence déloyale que leur fait notre port. Si ce dernier
venait à disparaître, ils retrouveraient leur prospérité d’antan et leur
attitude m’inquiète au plus haut point.
— Bodeshmoun,
tu me fournis là des renseignements précieux dont j’informerai dès que possible
Hannon le Rab et Mutumbaal. Puisse la bienfaisante Tanit faire que pareil
malheur ne se produise jamais car nous perdrions nos seuls alliés
véritables ! Pour le moment, tu as bien mérité de prendre un peu de repos
après les épreuves que tu as endurées. Rétablis-toi le plus vite possible car
tu ne seras pas de trop pour me seconder dans les semaines à venir.
— Je
suis à tes ordres et je me réjouis à l’avance de pouvoir combattre à tes côtés.
Au début,
je pris des mesures drastiques pour faire régner la discipline la plus stricte
dans le camp. Je savais d’expérience que le moindre relâchement serait
préjudiciable au moral des troupes et pourrait inciter les éléments les moins
sûrs à déserter. Je pris soin de haranguer les soldats pour les rassurer.
Certes, la trahison de la garnison d’Oroscopa nous avait privés de la victoire
mais nous disposions de stocks de vivres suffisants et la colline où nous nous
trouvions renfermait plusieurs sources d’eau. Les messagers que j’avais envoyés
à Carthage étaient sans doute arrivés et le Conseil des Cent Quatre avait dû
déjà prendre les dispositions nécessaires pour organiser le départ d’une
colonne de secours. Les mercenaires continuaient d’affluer par centaines dans
notre cité, attirés par la solde élevée que leur proposaient nos agents
recruteurs. J’étais aussi convaincu – mais je ne puis le dire à la
troupe – qu’Hannon le Rab avait d’ores et déjà envoyé à Rome une
ambassade
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