Hasdrubal, les bûchers de Mégara
ainsi !
Nous nous
séparâmes sur ces mots qui, à mes yeux, marquaient la fin de l’état de guerre
entre nos deux peuples.
Chapitre 6
Il faisait
ce jour-là un soleil radieux. Dès les premières lueurs de l’aube, les cavaliers
de Masinissa s’étaient rassemblés dans la plaine autour de leurs enseignes et
de leurs étendards ondulant sous l’effet d’une légère brise. Juchés sur leurs
petits chevaux qui piaffaient d’impatience, ils poussaient à intervalles
réguliers des cris de triomphe qui redoublèrent d’intensité lorsque parurent
Gulussa, Micipsa et Mastanabal, les trois fils de leur souverain. Les
trompettes retentirent et, à ce signal, escorté par la garde personnelle et les
principaux officiers de Masinissa, je me présentai aux avant-postes ennemis et
fus conduit vers les jeunes princes. Mastanabal me salua :
— Mon
père te prie d’excuser son absence. Les combats de ces dernières semaines l’ont
épuisé et un fort accès de fièvre le cloue sous sa tente. Il nous a fait
l’insigne honneur de veiller à l’exécution de l’accord conclu par vous. Tu as
rempli tes obligations en nous livrant, hier, Asasis et Juba et tous les
traîtres qui les avaient suivis dans leur révolte insensée contre leur
souverain légitime. Sache qu’ils ont été traités avec générosité. Seuls leurs
chefs ont payé de leur vie leur faute. Les autres ont été graciés et, comme tu
peux le constater, ils ont repris leur place dans les rangs de notre armée.
— Je
les reconnais et me félicite de votre décision. Je dois te l’avouer, en les
faisant encercler par mes soldats et en les conduisant de force jusqu’à vos
lignes, j’ai pleuré de honte. J’avais apprécié leur courage et, s’il leur était
arrivé malheur, j’aurais été déshonoré à tout jamais. Ton père a agi avec
sagesse et bienveillance et je m’efforcerai à l’avenir de lui prouver ma
reconnaissance. Dis-lui qu’il compte désormais un nouvel ami au sein du Conseil
des Cent Quatre.
— Je
m’en réjouis, dit Mastanabal. Maintenant, il est temps de procéder à la
reddition de tes troupes. Que toi et tes gardes se dirigent vers le bosquet
d’arbres que tu aperçois au loin et où une tente a été dressée. Tes soldats te
rejoindront sous peu dès que, en signe de soumission, ils auront déposé leurs
armes à nos pieds. Avant que le soleil ne se couche, vous serez tous en route
pour Carthage où vos familles vous attendent.
Suivi de
mes compagnons, je gagnai l’endroit indiqué et mis pied à terre. Je pus
contempler le spectacle qui se déroulait en bas de la colline. Un par un,
mercenaires étrangers et militaires carthaginois quittaient leur campement et
défilaient devant leurs vainqueurs, jetant sur le sol leurs épées, leurs
lances, leurs frondes et leurs boucliers que des nuées d’esclaves chargeaient
dans des chariots. Cette cérémonie se déroula dans un silence impressionnant et
dans la plus grande dignité. Les vaincus marchaient la tête haute, refrénant
leurs larmes, et fixaient les Numides d’un air déterminé. Les plus audacieux
avaient ôté leurs cuirasses ou leurs tuniques pour exhiber les cicatrices des
blessures reçues dans des combats antérieurs, symbole de leur vaillance. Après
s’être défaits de leurs équipements, ils se regroupaient par petits
détachements et, au signal donné par leurs officiers, reformèrent leurs rangs
et commencèrent à avancer dans la plaine, refusant de se retourner pour
contempler, une dernière fois, l’endroit où ils avaient enduré mille
souffrances avec un courage et une abnégation remarquables.
Bientôt,
Gaulois, Ibères et Sardes entonnèrent leurs chants de guerre traditionnels en
l’honneur de leurs morts. Ils avaient déjà franchi la moitié de la distance les
séparant de l’endroit où je me trouvais lorsque, en poussant des cris
terribles, les cavaliers numides se ruèrent sur eux et les encerclèrent pour
les séparer en petits groupes qu’ils taillèrent en pièces systématiquement. En
quelques minutes, en dépit de la résistance désespérée offerte par certains, se
servant de leurs bras pour désarçonner leurs assaillants et s’emparer de leurs
épées, plus de vingt-cinq mille hommes périrent, sous mes yeux horrifiés.
Malheureusement, nous étions trop peu nombreux pour leur porter secours. Le sol
ruisselait du sang de ces hommes victimes de la plus odieuse des trahisons.
La mort
dans l’âme, je dus me
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