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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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pour solliciter sa médiation.
    Il nous
suffisait de ne pas céder à la panique et de faire preuve de patience. Afin
d’occuper les hommes, je fis abattre des centaines d’arbres pour édifier une
solide enceinte fortifiée ainsi que des baraques où ils pourraient se mettre à
l’abri quand commencerait la mauvaise saison, avec son cortège de pluies et de
vents glacials. Au bout de quelques semaines, une estafette en provenance de
Carthage parvint à franchir les lignes numides pour m’apporter des nouvelles en
apparence rassurantes. Sous peu, une colonne forte de plusieurs milliers de
mercenaires marcherait en direction d’Oroscopa et des convois de
ravitaillement, escortés par des détachements de cavalerie, étaient déjà en
route. Dès que leur arrivée nous serait signalée, nous devrions effectuer une
sortie en masse pour les conduire à l’intérieur de nos retranchements.
    Ce message
m’étonna plus qu’il ne me réjouit. Pourquoi d’abord envoyer des convois de
ravitaillement et non une colonne de secours ? Visiblement, depuis notre
défaite, Hannon le Rab avait repris le contrôle du Conseil des Cent Quatre et
préférait savoir les Numides occupés à nous assiéger plutôt qu’à se diriger
vers Carthage. Il avait décidé de nous abandonner à notre sort et
n’interviendrait qu’à la dernière extrémité pour apparaître comme le sauveur de
notre armée. Peut-être m’infligerait-il alors le sort que réservait la cité
d’Elissa à ses généraux vaincus : la crucifixion. Mes craintes n’étaient
pas vaines. Quelques jours plus tard, Masinissa laissa pénétrer dans notre camp
les rares survivants d’un convoi de ravitaillement tombé dans une embuscade tendue
par ses hommes. Bientôt, en dépit du strict rationnement des vivres que je mis
en place, la disette commença à exercer ses ravages.
    Quand
toutes les réserves de grains furent épuisées, je donnai l’ordre d’abattre les
chevaux et les bêtes de somme, ce qui nous permit de gagner un répit précieux.
Puis la viande vint à manquer. Les mercenaires et les soldats durent se
contenter de faire cuire les racines des plantes poussant sur la colline et
l’écorce des arbres. Pour tromper leur faim, certains mâchèrent leurs sandales
et leurs baudriers, et s’en servirent pour confectionner d’insipides soupes.
Avec l’arrivée des premières pluies et du froid, beaucoup périrent
d’épuisement. Trop faibles pour enterrer les morts ou pour les brûler sur des
bûchers, les hommes laissèrent les corps se décomposer à l’air libre. Une
insupportable odeur de putréfaction envahit nos cantonnements et rendit
l’atmosphère irrespirable. Dans ces conditions, une épidémie de peste se
déclencha, fauchant plusieurs milliers de soldats dont je pouvais entendre les
râles d’agonie. Je dus me rendre à l’évidence : à moins d’un miracle, nous
étions condamnés à mourir lentement de faim. J’étais moi-même très affaibli car
j’avais refusé de bénéficier d’un régime alimentaire de faveur, me contentant
d’un maigre brouet d’eau mêlée de terre et de racines. Durant deux jours, je
vécus en reclus sous ma tente, réfléchissant à ce que je devais faire. Au matin
du troisième jour, je revêtis ma plus belle cuirasse et mon manteau de
commandement. Accompagné par deux officiers qui soutenaient ma démarche
hésitante, je me dirigeai vers les lignes ennemies et fis comprendre aux
militaires numides en faction que je souhaitais m’entretenir avec leur roi.
Prévenu, Masinissa me fit conduire jusqu’à sa tente et m’accueillit amicalement :
    — Je
rends hommage à ta vaillance, Hasdrubal, et à ta ténacité. Avant toute chose,
prends soin de te restaurer. J’ai fait préparer pour toi une légère collation
et je te préviens que je n’engagerai pas de pourparlers avec toi tant que tu
n’auras pas repris tes forces.
    — Je
te remercie de ta généreuse attention mais que penseraient de moi mes soldats
s’ils savaient que leur chef dévore à belles dents un morceau de viande alors
qu’ils ont le ventre creux ?
    — Ils
te donneraient raison. Comment veux-tu négocier leur sort au mieux de leurs
intérêts si la tête te tourne à chaque instant ? N’aie donc aucun
scrupule. Mange, nous parlerons après.
    Je pus
tout juste avaler un peu de pain et quelques fruits tout en refusant de boire
le vin que me proposa un esclave. Une étrange sensation de bien-être

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