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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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pourrait me reprocher ? J’entretiens d’excellentes relations avec les autres planteurs…
    — En apparence, sans doute. Mais – et là j’excepte M. de La Vallée qui, je crois, vous porte une amitié sincère – on vous reproche en général vos méthodes par trop… révolutionnaires. On sait, dans les plantations, que vous n’avez plus un seul esclave véritable mais des « libres de savane », que vous n’en achetez que pour leur offrir le même statut. On dit que vous gâchez le métier, que vous apportez un exemple déplorable. Enfin, on vous reprocherait plutôt de ne vous livrer à aucune contrebande comme le font la plupart des autres, d’ailleurs.
    — Comment ? fit Gilles abasourdi. On me reproche de respecter la loi et c’est vous qui me le dites ?
    — Ce n’est pas ici l’intendant général qui parle et je ne fais que vous exposer la situation. On trouve étrange qu’un ancien combattant d’Amérique ne brûle pas de commercer avec ses anciens frères d’armes et comme on se souvient parfaitement de votre superbe arrivée sous l’uniforme des gardes du corps de Sa Majesté, on en déduit tout doucement que vous pourriez bien être – passez-moi le mot mais c’est le seul qui convienne ici, tout brutal qu’il soit – un espion de Versailles.
    Le visage de Tournemine s’empourpra sous la poussée de la colère.
    — Moi ? Un espion ? Qui ose dire cela ?…
    — Mais… presque tout le monde hormis La Vallée qui a bien du mal, croyez-moi, à vous défendre au Conseil, dit tranquillement l’intendant. Allons, calmez-vous ! Personnellement, je n’en crois rien et je vous demande de ne pas vous jeter sur le premier planteur venu pour le provoquer en duel. On se demande déjà ce que ce malheureux Rendières avait bien pu vous faire pour que vous lui enleviez la main.
    — Il avait insulté ma femme. Cela ne suffit-il pas comme raison ? lança Tournemine très raide.
    — Eh oui ! Vous avez une trop jolie femme, mon pauvre ami. Les hommes vous l’envient, les femmes la jalousent. Tout cela n’arrange rien et j’en sais beaucoup qui applaudiraient, discrètement d’abord puis à tout rompre, si l’on réussissait à vous chasser… ou pis encore peut-être. Dès l’instant où les Noirs vous portent aux nues, vous n’avez guère de chances d’être l’ami des Blancs ! Êtes-vous bien en Cour ?
    — Très bien. Le roi aussi bien que la reine m’ont donné de grandes preuves de leur protection.
    — Et M. de Vaudreuil ? Il est né ici, vous le savez, et c’est l’un des grands noms de la colonie. S’il était votre ami, cela pourrait vous servir…
    Gilles revit, dans le cadre élégant de l’entourage de la reine, le créole insolent et frondeur qui était l’un des plus chers amis de la souveraine et qui, le premier, avait offert son hôtel pour la première représentation, encore défendue, du Mariage de Figaro 1 .
    — Nous ne sommes pas intimes, dit-il, mais nous nous connaissons et nous avons des amis communs, ajouta-t-il pensant aussi bien à Marie-Antoinette qu’à Beaumarchais.
    — Je le ferai savoir. La chose pourrait vous servir et vous faire regarder avec moins de méfiance. À présent, chevalier, je vous laisse vous retirer… en regrettant de ne pouvoir faire davantage.
    — Vous m’avez éclairé sur ma situation réelle, monsieur l’intendant général. C’est un précieux service dont je vous remercie…
    Le service était précieux sans doute mais l’impression détestable. En quittant l’intendance générale, Gilles voyait les choses sous un éclairage tout différent de celui qu’elles avaient à son arrivée. Tandis qu’au pas noble de Merlin il traversait la ville pour reprendre la route de son domaine, il croyait lire à présent la méfiance, la malveillance, parfois même le mépris sous les saluts qu’on lui adressait ou qui répondaient aux siens. Seules les femmes lui souriaient immuablement, mais il n’aimait pas la lueur trouble qui se montrait dans certains de leurs regards car cette lueur il l’avait parfois observée chez d’autres en face de condamnés à mort marchant à l’échafaud. Un espion ! On le prenait pour un espion ! Le mot brûlait son orgueil, éveillant en lui une impuissante fureur. Il eût voulu provoquer en duel tous ceux qui osaient penser cela de lui…
    Passant devant la cathédrale, il s’arrêta, entra. Les messes du matin étaient dites et l’église était vide.

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