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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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goutte de whisky à la régalade et jeta la bouteille dans un coin. Puis comme, dans le lointain, un coq se mettait à chanter, annonçant le jour, il sortit sur la véranda pour voir se lever le soleil de ce jour incertain.
    Il était près de midi quand un carrosse de couleur amarante relevé de filets d’or autour duquel galopait un escadron de la Milice, embouqua l’allée de chênes centenaires et vint s’arrêter dans un nuage de poussière rouge devant le grand perron où attendaient Gilles et Judith. Le jeune couple descendit les quelques marches et Gilles ouvrit lui-même la portière tandis que Judith s’agenouillait comme elle l’eût fait devant un prince de l’Église. Cette petite flatterie eut son effet : l’abbé Collin d’Agret n’était que le coadjuteur de l’évêque de Saint-Domingue et il eut un regard approbateur pour cette très belle jeune femme, sévèrement vêtue de taffetas noir, une dentelle noire sur les cheveux comme pour une audience papale et qui n’hésitait pas à mettre genou dans la poussière pour recevoir une bénédiction impossible à refuser. Mais le regard dont il enveloppa la haute silhouette du maître de « Haute-Savane » était beaucoup moins bénin et Tournemine devina qu’il avait là un ennemi bien décidé à ne repartir qu’avec sa livre de chair.
    Gontran Collin d’Agret était un homme gras au physique mou, ce qui ne le prédisposait nullement à l’indulgence pour les hommes minces et musclés. À l’exception d’un grand nez arrogant, tous les traits de son visage étaient féminins : petit menton douillet, petite bouche ronde et boudeuse, fins sourcils soigneusement épilés, peau délicate visiblement entretenue à grand renfort d’onguents et préservée du soleil avec un soin jaloux : à peine le visiteur eut-il posé à terre son pied court chaussé de soie noire à boucles d’or que le valet qui se tenait assis auprès du cocher se précipitait armé d’un grand parasol pour abriter son maître d’un soleil qui, en cette saison, n’avait cependant rien de meurtrier.
    En descendant de carrosse, le coadjuteur offrit sa main grassouillette, ornée d’une superbe bague de perles et d’améthyste, aux lèvres de Judith, l’invita à se relever mais déclina son invitation à prendre place à table pour se rafraîchir et se restaurer :
    — Nous sommes ici, ma fille, pour accomplir un devoir grave et faire toute la lumière sur les accusations qui pèsent sur cette maison. Nous ne saurions nous asseoir à votre table tant que nous n’en aurons pas fait justice.
    Son regard avide, fouillant les ombres fleuries de la véranda, démentait ses paroles, trahissant ses regrets mais, derrière sa robe de soie, venaient d’apparaître la toile grise et la barbe tout aussi grise du frère Ignace qui avait eu l’honneur d’accompagner le coadjuteur dans son carrosse.
    La voix claire de Judith s’éleva :
    — Quelles que soient les accusations qui pèsent sur nous, dit-elle, je prends Dieu à témoin de leur fausseté. Nulle maison n’est plus fidèle que la nôtre à sa loi et j’espère de tout mon cœur que Votre Révérence, dans sa sainte clairvoyance, s’en rendra compte très vite et pourra, d’un cœur tranquille, prendre quelque repos sous un toit innocent. Le dîner qui lui est destiné ne perdra rien à attendre.
    Collin d’Agret ne put retenir un soupir.
    — Dieu vous entende, ma fille, Dieu vous entende ! Allons, monsieur de Tournemine, montrez-nous le chemin qui mène à cette tombe que nous avons le cruel devoir de violer au nom du Seigneur. Votre bras, frère Ignace…
    Mais Gilles intervint :
    — Le chemin qui y mène monte. Je crains qu’il ne soit un peu pénible pour les souliers de Votre Révérence.
    La mise en scène de cette petite comédie avait été bien réglée. Un simple claquement de doigts fit apparaître un charmant palanquin d’acajou défendu par des rideaux de mousseline brodée que portaient quatre Noirs athlétiques et sur les coussins duquel Sa Révérence s’étendit avec un soupir de soulagement mais sans daigner articuler le moindre remerciement. Le frère Ignace, lui, dut faire le chemin à pied car il n’y avait qu’une place dans le palanquin.
    Le petit cortège se mit en marche. Gilles, Judith, Finnegan et Pierre Gauthier suivirent le palanquin dont les rideaux voltigeaient doucement sous la brise venue de la mer. Le premier se surprit à penser qu’ils avaient l’air

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