Helvétie
Métaz débarquèrent, le samedi 9 octobre, à Lausanne, chez Mathilde Rudmeyer, où leur coupé les attendait. La tante de Charlotte calma les appréhensions des époux en disant que les moments les plus difficiles étaient passés puisque le nouveau préfet du Léman, le populaire Henri Monod, avait fait mettre le département en état de défense, en même temps que le gouvernement légal de la République helvétique avait obtenu l’intervention de Bonaparte.
L’arrivée du général Rapp, ancien aide de camp de Desaix, dans la nuit du 4 octobre, avait restauré la confiance. Les Lausannois, qui redoutaient l’attaque des fédéralistes, s’étaient ressaisis et avaient organisé la résistance. Les rebelles, devinant qu’ils auraient fort à faire pour anéantir les patriotes, derniers fidèles, par crainte de voir détruire l’œuvre de la Révolution, d’une République helvétique qui ne leur avait pas apporté que des bienfaits, commençaient à évaluer les risques qu’ils encouraient en s’obstinant.
– Nous avons vraiment cru un moment que nous aurions la guerre en ville. Maintenant, cette menace s’est éloignée. Le général Rapp s’est rendu à Payerne. Il a convaincu Bachmann et ses brutes de renoncer à marcher sur Lausanne. Le Sénat et les cantons ont été priés de désigner des délégués, qui se rendront à Paris pour une consulte. Celle-ci sera chargée, sous l’autorité de Bonaparte, de mettre en œuvre une Constitution acceptable par tous, précisa Mathilde.
– On dit à Paris que Bonaparte penche pour une Constitution fédéraliste, qui garantirait les libertés. C’est peut-être bien ce qu’il y aurait de mieux, à condition que chaque canton soit maître chez soi, observa Guillaume.
– On sait déjà que le Premier consul a nommé une commission, que dirigera Talleyrand, où figurent Fouché, qui n’est plus ministre de la Police, et plusieurs sénateurs, dont François Barthélemy qui tenta autrefois de s’entremettre entre les émeutiers parisiens et les Gardes-Suisses des Tuileries. Sans succès, il est vrai ! On dit que Pierre-Louis Rœderer, qui, le 10 août, convainquit Louis XVI « de se mettre sous la protection du peuple à l’Assemblée nationale », et l’on sait qu’il envoya ainsi la famille royale à ses futurs bourreaux, fait aussi partie de ceux qui vont discuter avec les délégués suisses, dit M lle Rudmeyer, toujours bien informée.
Guillaume eut un hochement de tête, qui traduisait son scepticisme quant à une solution du conflit entre patriotes vaudois et contre-révolutionnaires des cantons primitifs.
– Nous ferions bien de rentrer à Vevey tout de suite et de ramasser notre raisin au plus tôt, si nous ne voulons pas que ce soit une vendange perdue, dit-il d’un ton lamentable, qui fit sourire la tante de Charlotte.
– Allons, la crainte de l’armée française suffira à ramener la paix. Les beaux jours reviendront et, peut-être aussi, une meilleure compréhension entre huguenots et catholiques. Savez-vous que dimanche dernier, le 3 octobre, à dix heures et demie, nous avons eu une grand-messe célébrée à la cathédrale par le curé Jaccottet, venu d’Assens ? Cela ne s’était pas vu depuis 1536 ! Il y avait foule ; tous les catholiques de Lausanne et des environs étaient là. Au moins cinq cents personnes. Ça nous a fait un peu gros cœur de voir notre belle église, que les Bernois avaient menacé de démolir en 1766, intacte, mais vide et toujours à l’abandon. Malgré tout, ses voûtes antiques ont résonné de nos chants et de l’écho fervent de nos prières. Nous comptons bien que nous aurons maintenant à Lausanne la messe chaque dimanche. Le Petit Conseil s’y est en quelque sorte engagé.
– La messe à la cathédrale ? Comment cela se peut-il ? s’étonna Guillaume, imaginant une résurgence agressive du papisme.
– Cela s’est fait, cher Guillaume, parce que le gouvernement de la République helvétique, réfugié chez nous, compte de nombreux catholiques parmi ses membres, dont le sénateur de Fribourg, Joseph d’Église. C’est lui qui a demandé que soit respectée la loi sur la liberté de culte. Et j’espère bien qu’elle le sera désormais, même si nous ne sommes qu’un petit nombre à garder fidélité à la religion de nos pères. Vous allez faire instruire Axel dans votre religion réformée, puisque mon défunt frère et
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