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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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escorte composée d’une douzaine de généraux, puis revint au pas, pour parcourir le front des troupes. Chaque fois qu’un drapeau s’inclinait, Bonaparte le saluait, ôtant son chapeau d’un geste large. On vit le général inspecter les lignes d’infanterie, puis franchir, au trot, la grande grille des Tuileries pour passer en revue la cavalerie et l’artillerie à cheval.
     
    Charlotte et Guillaume avaient remarqué, comme tous les assistants, la présence au côté du vainqueur de Marengo d’un étrange cavalier, géant au teint sombre, coiffé d’un turban, portant une tunique aux manches bouffantes soutachées d’arabesques d’or et un large pantalon flottant.
     
    – Est-ce le délégué du Grand Turc ? demanda Charlotte, qui se souvenait du mamamouchi de Molière.
     
    – Non, madame, c’est Raza Roustan, un mamelouk ramené d’Égypte. C’est un ancien esclave géorgien et son maître, le cheikh El-Becri, en a fait cadeau au Premier consul. Ce gaillard s’est si fortement attaché à Bonaparte que ce dernier en a fait son garde du corps. Roustan dort devant la porte de sa chambre et, dans le privé, rend de multiples services. C’est une force de la nature, mais un bon garçon, d’une absolue fidélité à son maître. Il accompagne le Premier consul dans ses promenades, galope près de sa voiture quand il voyage. Et, comme il est assez fier de son statut très particulier, le général l’autorise quelquefois à l’escorter pendant les revues.
     
    Son inspection terminée, le Premier consul avait immobilisé sa monture, tandis que les troupes se mettaient en place pour le défilé. Charlotte, parcourant du regard ce qu’on appelait assez improprement les jardins des Tuileries et les anciennes cours royales, car l’esplanade avec ses vestiges de parterres et d’allées avait plutôt l’aspect d’un terrain vague, depuis que les arbres avaient été abattus pour ne pas gêner l’évolution des troupes, se mit à penser aux Gardes-Suisses massacrés en ces lieux, le 10 août 92, par une populace sanguinaire. Elle imagina dans ce décor les frères Julien et Pierre Mandoz, qu’elle avait connus quand elle était enfant, défendant sous la mitraille, contre cent mille émeutiers, ce palais des rois de France et le dernier de ceux-ci. Le sable des allées, où paradait Bonaparte, avait bu le sang de Pierre, le fiancé de Flora, et celui de centaines d’autres bons garçons des Grisons ou de Saint-Gall. Les élégantes invitées du Premier consul, leurs époux et leurs amants se souvenaient-ils que les marches où ils se tenaient avaient ruisselé, comme étals de boucher, du sang des martyrs ? Voyant M me  Métaz soudain pensive, le général Ribeyre énuméra les escadrons et les troupes qui, déjà, défilaient en soulevant une poussière jaune.
     
    – Vous voyez là huit mille fantassins et mille cavaliers, précisa-t-il.
     
    Puis il désigna de la main des hommes et des femmes qui, derrière une haie de gardes, brandissaient des papiers.
     
    – Ils vont remettre des pétitions au Premier consul, dès que la revue sera terminée. C’est devenu un rite, constata le général.
     
    On vit en effet les quémandeurs s’avancer en bon ordre, donner leurs messages à Bonaparte qui les recevait sans manifester aucune émotion et les tendait aussitôt à un aide de camp.
     
    – Auront-ils seulement des réponses, tous ces gens ? demanda Guillaume, sceptique.
     
    – Soyez-en sûr. Le cabinet du Premier consul étudiera les pétitions, communiquera les plus intéressantes et lui seul fera un sort à celles-ci. Mais toutes auront une réponse.
     
    Dès que Bonaparte eut regagné le palais sous les acclamations, la foule s’enhardit à franchir les lignes tracées à la craie sur le sol pour la contenir et se répandit dans les jardins.
     
    Les Métaz prirent congé du général Ribeyre qui, au cours d’un bref aparté avec Charlotte, souffla :
     
    – Le colonel rentre d’Espagne. Il sera à Paris la semaine prochaine.
     
    Comme Guillaume s’était éloigné de quelques pas pour admirer les gros percherons de l’artillerie, Charlotte révéla à Ribeyre qu’elle aurait quitté Paris avant le retour de Fontsalte.
     
    – Alors, j’espère que vous le verrez bientôt à Vevey, conclut le général, tandis que M. Métaz se rapprochait.
     
    Nantie de cet espoir, Charlotte se rendit chez M me  Stapfer pour faire ses adieux, le retour à Lausanne étant

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