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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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juste et même judicieuse. Elle nous paraît aujourd’hui l’expression naïve d’une ignorance et bien présomptueuse. Nous avons appris depuis qu’il existait dans le monde, alors qu’Isocrate publiait à Athènes son ouvrage Sur la paix aréopagique , d’autres civilisations, ignorées des Grecs et souvent plus anciennes et plus raffinées que la leur.
     
    – Alexandre ne reprit-il pas la même idée en créant un immense empire, qui s’étendit un moment de l’Adriatique au Gange, de la Caspienne à la mer Rouge, du Danube à l’Indus ? demanda Charles Ruty.
     
    – Il ne s’agissait pas de l’Europe ! Ne mélangez pas tout ! Alexandre avait d’autres ambitions. Il voulait gouverner l’univers connu. Il croyait être le prédestiné, souhaité par Platon, quand ce dernier disait : « Le bonheur du monde ne sera assuré que le jour où la puissance politique et la philosophie se rencontreront dans le même homme. » Alexandre, nouveau Dionysos, se prenait pour ce dieu fait homme. Il rêvait, non d’une union des peuples d’Europe, à ses yeux banlieue de la Macédoine, mais de la fusion de l’Orient et de l’Occident dans le creuset grec ! Il pensait même y ajouter l’Arabie, l’Afrique et l’Ibérie, si l’on en croit le De rebus gestis Alexandri Magni de l’historien latin Quintus Curtius. C’était un rêve grandiose et d’une noble outrecuidance, mais le mélange n’a pas pris ! Alexandre n’a pas hellénisé l’Asie, il a été asifié, si j’ose dire. Devenu plus oriental que grec – n’avait-il pas choisi comme capitale Babylone ? – il mourut autant d’une indigestion territoriale que de la malaria ! L’Orient attire et ensorcelle les conquérants, Charles, les séduit, les cajole un moment, les enrichit parfois, puis les étouffe et rejette leur dépouille à la mer !
     
    – Tu en sais là-dessus plus long que nous, que moi surtout, dit Blanchod. Je ne suis qu’un pauvre paysan, qui a appris tout seul ce qu’il sait, et qui a souvent cherché des mots dont il ignorait le sens dans les dictionnaires ! Un autodidacte, m’as-tu dit l’autre jour ! N’empêche que Bonaparte a peut-être bien la volonté de faire de l’Europe un empire ! Le journal dit : « C’est le nouvel Alexandre » !
     
    – Comme Alexandre, Bonaparte est allé en Égypte… Il en est revenu ! Il en est revenu ayant compris qu’à notre époque l’Europe est un champ de bataille suffisant pour qui rêve de bâtir un empire. Peut-être as-tu raison, Blanchod, en ce qui concerne les vues de Bonaparte. Mais ton âme européenne, c’est autre chose !
     
    – Eh ! pourquoi ?
     
    – L’Europe, vois-tu, est, avant tout, une réalité géographique, la partie occidentale du continent eurasiatique. Si, au cours des siècles, on a pu y déceler, parfois, une sorte de communauté de civilisation, celle-ci fut toujours éphémère et aléatoire. Les relations de voyages des écrivains et des poètes, les études des philosophes vagabonds, les narrations des étudiants, les souvenirs des artistes, les ragots des dilettantes, n’ont, longtemps, intéressé qu’une élite intellectuelle. Les gens du peuple ne se sont mutuellement perçus qu’à l’occasion des échanges commerciaux, des guerres, des occupations, des exodes, des exils.
     
    – Nos grands-parents en savaient quelque chose : les Rudmeyer sont venus d’Allemagne, les Baldini d’Italie, les Métaz de Savoie…
     
    – … et les Blanchod tout pareil, coupa Simon.
     
    – Laissez finir Martin. Il est en train de nous faire un cours, comme à ses élèves, intervint Charlotte.
     
    – Oh ! je n’ai plus grand-chose à ajouter, mes amis, sinon que toutes les tentatives conduites dans le passé pour faire ce que Blanchod appelle une nation européenne, qu’elle soit ou non dotée d’une âme, ont échoué. Quand, après 527, Justinien, empereur chrétien d’Orient, ayant reconquis l’Occident tombé aux mains des Vandales et des Wisigoths et sans cesse menacé par les Perses et les Huns, unifia les pouvoirs et publia le premier Corpus de droit civil , peut-être s’inspira-t-il des conceptions philosophiques et politiques d’Isocrate. Mais, trois ans après sa mort, la zizanie s’étant instaurée entre ses généraux, l’empire qu’il avait édifié, et qui aurait pu devenir la nation européenne que vous appelez de vos vœux, fut attaqué et ravagé par les Slaves, les Bulgares, les

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