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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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entier est à l’image de notre petit univers vaudois, entre lac et vignoble, où rien n’apparaît de très spectaculaire. C’est peut-être pourquoi nous sommes si attentifs à ce qui se passe ailleurs mais aussi en nous : aux sentiments, aux conflits intimes, aux relations secrètes des êtres. Nos destinées sont comme ces courants qui circulent, se heurtent, se croisent, s’unissent dans les profondeurs du Léman sans rider sa surface.
     

    L’aventure anglaise était terminée. Une semaine plus tard, au soir d’une étape à Dijon, où Martin Chantenoz avait comparé avec conscience plusieurs vins blancs bourguignons avant de décerner la palme au meursault, Axel tira de sa sacoche le Registre des rancunes , où il inscrivait depuis des années les affronts essuyés. Il y ajouta ceux qui relevaient de la perversité d’Eliza et de la dépravation de lord Christopher. Ces considérations occupèrent quatre pages du carnet noir. La pauvre Janet, elle-même, ne fut pas épargnée, mais plus modestement qualifiée de niaise et de veule.
     
    Incapable d’imaginer, sur l’heure, le type de vengeance qu’il devrait un jour tirer de cette famille pour être fidèle au principe qu’il s’était fixé depuis l’enfance, il écrivit, comme pour rendre son ressentiment inaltérable et déjouer, par avance, l’influence du temps qui dilue les rancunes : « Jusqu’au sang ! » Et il souligna.
     
    1 Dans son ouvrage l’Angleterre dans la vie intellectuelle de la Suisse romande au xviii e  siècle (Bibliothèque historique vaudoise, Lausanne, 1974), Ernest Giddey (1924-2005), professeur de littérature anglaise, vice-recteur de l’université de Lausanne, président de The International Byron Society, a consacré un important chapitre aux Suisses en Grande-Bretagne.
     

8.
     
    À Vevey, Axel fut accueilli avec d’enthousiastes effusions par ses parents et sa sœur, auxquels se joignirent bientôt Flora, Polline, Pernette, Simon Blanchod, Pierre Valeyres, les Ruty et, plus tard, les voisins. Passé les premières considérations sur sa taille et sa mine – « Mon Dieu ! Comme il a grandi ! Comme il a forci ! Comme il fait homme, maintenant ! Mais il va bientôt devoir se raser chaque jour ! » – qui agacèrent le jeune homme, il dut, pendant des semaines, raconter l’Angleterre et les Anglais. Guillaume voulut savoir comment on traitait les affaires, ce que mangeaient et buvaient les Britanniques, si l’on pouvait espérer leur vendre des montres, aussi bien que du vin et des fromages, et encore s’ils appréciaient le chocolat, car M. Métaz venait d’investir dans cette nouvelle production très prometteuse.
     
    Axel avait trouvé sa mère alourdie, peu expansive, dolente. Charlotte se plaignit : le temps avait coulé, pour elle, monotone, et, au fil de mois sans surprises, le seul événement à retenir était les funérailles de M me  de Staël. La châtelaine de Coppet avait succombé à Paris, le 14 juillet, à une seconde attaque d’apoplexie, la première l’ayant fortement éprouvée dès le 21 février.
     
    M me  Métaz s’était rendue à Coppet pour assister à l’inhumation de Germaine de Staël dans le tombeau familial où reposaient déjà, derrière des murs élevés autour d’un bouquet d’arbres, Jacques Necker et son épouse.
     
    – Dès que le cercueil fut en place, les maçons murèrent le caveau et soudèrent la grille de fer qui tenait lieu de porte à l’enclos. Désormais, personne ne peut approcher ce mausolée. Cet enfermement, voulu par les Necker, nous causa à tous une grande émotion, conclut Charlotte.
     
    Comme Martin Chantenoz soulignait, avec quelque malice, que l’égérie, déçue par tous les régimes politiques, était morte le jour anniversaire de la prise de la Bastille, Charlotte le pria fermement de ne pas dauber sur le sort d’une grande dame, qui avait eu le mérite universel de révéler à plusieurs générations l’existence d’un esprit européen.
     
    M me  Métaz questionnait Axel sur Londres, la saison des bals, les châteaux, les équipages, la mode, la façon qu’avaient les Anglaises – étaient-elles toutes rousses ? – de coiffer leurs cheveux. Elle attendit cependant de voir réunis son mari, son fils et Chantenoz pour aborder un sujet qui lui tenait à cœur. Elle savait, avant qu’Axel ne partît pour l’Angleterre, que Janet Moore était amoureuse de lui.
     
    – Sa maman le laissait clairement

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