Helvétie
gitane et de Blaise se révélait aux dernières nouvelles d’une parfaite santé et promettait d’être belle.
Tandis que le bateau longeait la rive, le capitaine Fontsalte chassa la pensée de cette paternité importune et se concentra sur le présent.
Il se posait une foule de questions, non sur la mission qu’il s’était donnée, mais sur Charlotte Métaz, dont il avait bien perçu l’émoi et aussi l’amitié ambiguë qui semblait la lier à Flora. Nul doute que la bourgeoise veveysanne eût fini par céder à son désir pour sauver l’Italienne. « Nous autres, mâles, attachons beaucoup d’importance à un don qui n’est précieux que venant d’une vierge. Or M me Métaz ne doit plus l’être ! Bien que mariée depuis trois ans, elle est même sans enfants, ce qui indique peut-être une stérilité qui aurait rendu, cette fois, la chose sans conséquence, même sans risque », se dit-il, avec le vague regret de n’avoir pas eu l’audace de profiter de la situation.
Il était près de huit heures quand la barque approcha du ponton de Villeneuve. Une grande activité régnait depuis l’aube sur les berges de ce bourg de cinq ou six cents habitants, devenu point d’abordage et entrepôt des denrées destinées à l’armée d’Italie. Des caisses de biscuits, des barils d’eau-de-vie, des sacs de farine, des caissons de munitions, déchargés des grandes barques qui les avaient apportés de Genève, étaient entassés, en attente de chargement sur les mulets. Des militaires allaient et venaient, détachement en marche vers quelque poste ou contingent de recrues se rendant à l’exercice, car les officiers s’étaient aperçus que bon nombre des nouveaux incorporés ne savaient même pas charger un fusil ! Ce grand remue-ménage d’une armée en déplacement ne paraissait guère favorable à l’espion chargé de récupérer les documents attendus. Aussi fut-ce sans conviction que le capitaine ordonna au batelier de placer le paquet dans la cache prévue.
– Il est peu probable qu’on vienne prendre livraison de ces papiers en plein jour, au milieu d’une telle affluence de militaires, observa l’officier.
Le bacouni, décidé à faire du zèle pour recouvrer la liberté, proposa de se mettre seul à la recherche du prêtre, qui ne pouvait pas être bien loin.
– Non, mon garçon, je ne te lâche pas. Nous allons filer à Martigny, où se trouvent l’état-major de l’avant-garde et le général Lannes. Le temps de demander une voiture ou des chevaux au chef de bataillon Robin qui commande la place, et nous filons. Huit lieues, huit heures. À l’arrivée, nous comparerons tes informations à celles de notre service des Affaires secrètes et nous verrons ensuite quoi faire de toi.
– Vous n’allez pas me faire du mal… J’ai rien, moi, contre les Français et…
– Nous verrons. En attendant, en route. Et, si tu reconnais un gaillard qui ressemble à ton curé de malheur, dis-le-moi.
Par chance pour le batelier, qui n’avait jamais enfourché un cheval, le commandant Robin put mettre une voiture de courrier à la disposition de Fontsalte. Malgré une route fort encombrée de convois et de détachements de toute sorte, la première concentration de troupes étant prévue dans la vallée entre Évionnaz et Martigny, le capitaine et son prisonnier arrivèrent dans la petite ville à la fin de l’après-midi. Ce fut pour apprendre que le général Lannes et son état-major se trouvaient déjà à Saint-Pierre, où bivouaquaient les douze mille hommes de l’avant-garde.
Les soldats de cette petite armée devaient être prêts à se mettre en marche dès deux heures du matin afin d’éviter, grâce au gel nocturne, pensait-on, les risques d’avalanche. Ils seraient, après trois ou quatre heures de marche périlleuse, attendus à l’aube devant l’hospice, pour recevoir une collation, pain, fromage et vin, offerte par les chanoines. Au petit matin, l’armée passerait le col et commencerait sa descente aventureuse sur le versant italien jusqu’à Étroubles, prochain bivouac prévu par l’état-major.
Étant donné le contenu si précis du rapport de Flora Baldini, et bien que ce document ne fût pas parvenu à son destinataire, le capitaine Fontsalte estima urgent de prévenir le général Lannes. M lle Baldini n’était peut-être pas la seule à renseigner les Autrichiens sur les mouvements des troupes
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