Helvétie
marché, puis alla chercher refuge derrière le piano et, comme Jeanne Hachette sur les remparts de Beauvais, brandit, à défaut de hache, une mouchette d’argent. Le rire moqueur de Blaise, qui s’était accoudé à la cheminée où rougeoyaient encore les braises de la soirée, dérouta M me Métaz. Elle se vit soudain ridicule. Le déshabillé ouvert, les seins hors du décolleté de la chemise et tressautant d’émo tion, le bastion dérisoire du piano à queue, tout lui parut d’une fantaisie théâtrale.
– On dirait que nous jouons à cache-cache, lança Blaise, toujours hilare. Rassurez-vous, je lève le siège. Vous n’aurez pas à immoler votre vertu pour une espionne. Je n’ai, de ma vie, forcé une femme, pas même une de ces filles d’auberge, qui font souvent plus de manières que les dames ! J’ai seulement voulu jouer au féroce révolutionnaire, au soudard libertin, au ruffian, tel que votre amie Flora, vous-même et sans doute quantité de bourgeoises de votre espèce imaginent les soldats de la République. Vous pouvez dormir tranquille. Je ferai tout pour que Flora Baldini ait la vie sauve et il ne vous en coûtera rien. Un espion démasqué devient inoffensif…, parfois même utile !
Charlotte mit un temps à réagir puis quitta son refuge. Bras tendus, elle s’approcha lentement de Blaise.
– Merci ! Oh ! merci ! Je savais que vous n’étiez pas un mauvais homme. Je sermonnerai durement Flora. Elle ne recommencera pas. Je vous le jure, ajouta-t-elle avec la conviction d’une mère d’élève dissipé assurant son soutien au maître d’école !
Blaise ne put que sourire devant pareille incapacité d’évaluer la gravité de la situation. Cette candeur frisait la bêtise. La jolie M me Métaz manquait d’esprit.
Comme il tendait à la jeune femme le ruban de velours arraché de son décolleté, elle lui saisit la main sans le prendre.
– Gardez-le, s’il vous plaît, en souvenir de la grande frayeur de cette nuit que je ne suis pas près d’oublier.
Puis, comme elle avait lu beaucoup de romans français qui finissaient sur une étreinte, elle posa ses lèvres sur la joue de Blaise qui, surpris par cet assaut enfantin, lui prit les mains et lui rendit sur la bouche un baiser moins innocent.
– Un jour, je reviendrai à Vevey pour vous faire une cour à la française, sans user d’autre argument que la tendresse que vous m’avez inspirée.
– Que Dieu vous ait en sa sainte garde, dit-elle en s’éloignant vivement.
Si le salon avait été mieux éclairé, Fontsalte eût vu que Charlotte avait le feu aux joues et, dans les yeux, des larmes, sans amertume.
Quand elle eut quitté la pièce, le capitaine enroula le ruban rose sur son index. « Idiot sentimental ! » se qualifia-t-il. Il trouvait risible de se conduire comme le preux va-t’en-guerre portant les couleurs de sa dame en sautoir. Il glissa néanmoins le ruban sous son dolman, dans la poche de sa chemise.
Restait à régler le sort de M lle Baldini et du bacouni. La décision de Blaise était déjà prise. Ayant soufflé les chandelles et tiré la porte, il se rendit dans sa chambre pour prendre un manteau et un bonnet de police, puis s’en fut au château baillival donner des consignes à Trévotte. Dès qu’on aurait arrêté, à Villeneuve, le mandataire du batelier et ses complices, il enverrait une estafette ordonner l’élargissement de Flora Baldini. Le commandant de la place devrait l’expulser du département du Léman dans les meilleurs délais.
– Et où devra-t-elle se rendre ? demanda Trévotte, étonné par la mansuétude du capitaine pour l’espionne.
– Au diable ! dit simplement Fontsalte.
Il confectionna, avec des pages arrachées à un vieux livre de comptes des baillis, un paquet de feuilles ressemblant à celui saisi par Trévotte, recopia la suscription : « À remettre au général Wukassovitch », et fit ensuite comparaître le batelier.
– Tu vas me conduire à Villeneuve et nous allons livrer le colis comme prévu. Après tout, tu n’auras que deux heures de retard. Si tu rencontres le curé qui t’a envoyé et s’il t’interroge, tu pourras toujours raconter que son correspondant de Vevey n’était pas au rendez-vous à l’heure dite. Embarquons, mon gars, et si tu fais le moindre signal à qui que ce soit je te casse la tête et te jette aux poissons, conclut Blaise
Weitere Kostenlose Bücher