Helvétie
françaises. Blaise confia son prisonnier au corps de garde de Martigny, où l’on attendait sous quarante-huit heures l’arrivée du général Bonaparte, et se fit donner un bon cheval. Six heures plus tard, il était introduit près du général divisionnaire, à qui Bonaparte avait confié le redoutable honneur de passer le premier la montagne.
Après avoir informé Lannes, qui ne prit pas l’affaire au tragique, Blaise fut invité à se restaurer. Plus tard, il vit dans la nuit glaciale la troupe se mettre en route et s’engager dans la neige sur l’étroit sentier bordé de précipices qui conduisait en trois lieues au col du Grand-Saint-Bernard. C’est en imaginant ce que serait sa propre ascension dans les jours à venir qu’il s’endormit sur une botte de paille, dans une grange, au-dessus d’une étable tiède et odorante. Le parfum douceâtre du foin, mêlé aux effluves des bovins, lui rappela son enfance, les parties de cache-cache dans les fenils, d’où l’on sortait les cheveux pleins de brindilles et les joues en feu pour avoir, maladroit dénicheur, exploré le corsage d’une servante délurée.
1 Monnaie de Suisse, frappée à partir du xv e siècle à Berne et portant en effigie un ours. Le batz valait, au commencement du xix e siècle, environ quinze centimes français d’alors.
2 Lourdaud, sot, bêta. Mot suisse, sans doute dérivé de l’italien gnocco , lourdaud.
6.
Les aveux du batelier et ceux, moins spontanés, de Flora Baldini corroborèrent les informations recueillies à travers le Valais par des agents des Affaires secrètes. Déguisés en chasseurs de chamois, ces hommes avaient, pendant plusieurs semaines, inspecté les itinéraires et interrogé les paysans. Ils avaient ainsi acquis la certitude qu’un réseau d’espionnage renseignait l’état-major autrichien – par l’intermédiaire d’un émigré français, passé avec le grade de général au service de l’ennemi – et cantonnait à Aoste.
Le 17 mai au matin, un sous-officier vint rapporter au capitaine Fontsalte, redescendu de Saint-Pierre à Martigny, qu’il avait repéré, à trois lieues de la ville, près de Saint-Branchier 1 , avec l’aide de Valaisans dévoués à la France, un prêtre inconnu des paroissiens, qui semblait se cacher. Fontsalte ordonna l’arrestation immédiate du suspect et quand, un peu plus tard, on le lui amena, il identifia sans peine, sous la soutane crottée, une vieille connaissance aux multiples identités. Cet Italien, qui se disait parfois savoyard ou français, espion patenté, dénué de toute attache patriotique, toujours prêt à servir le plus offrant, ne tenta pas de finasser.
Au service des Affaires secrètes, on se souvenait qu’il avait renseigné le général Sérurier au siège de Mantoue, en février 1797, après avoir, fort utilement, informé Bonaparte des mouvements des troupes du général hongrois Nicolas Alvinzi, lors des batailles d’Arcole et de Rivoli. Pour avoir peut-être permis aux généraux Masséna, Joubert et Murat d’écraser les Autrichiens et de faire cinq mille prisonniers, l’espion avait alors empoché une forte prime.
Confronté avec le batelier de Villeneuve, qui reconnut aussitôt son commanditaire papiste, le faux prêtre, en professionnel avisé, ne fit aucune difficulté pour admettre qu’il travaillait pour le général Wukassovitch, lequel devait attendre le rapport saisi par Trévotte à Vevey.
– Sûr que le général Bonaparte, qui doit arriver demain, sera enchanté de te revoir, dit Fontsalte en confiant l’homme au piquet de garde.
À considérer la mine de l’espion, les Français comprirent que le plaisir ne serait sans doute pas partagé.
Le Premier consul avait quitté Lausanne la veille, à cinq heures de l’après-midi. Ayant, une fois de plus, changé de chevaux à Vevey, vers minuit il s’était arrêté à Saint-Maurice pour souper et dormir chez M. Jacques Quartéry, ex-châtelain, dont la maison, sur la place du Parvis, faisait face à l’abbaye 2 . Dès qu’il fut informé de cette étape, Blaise quitta Martigny au petit matin, pour aller jusqu’à Saint-Maurice, à la rencontre de l’état-major. En attendant le colonel Ribeyre, il décida de visiter la basilique, qui abritait, lui avait-on dit, de précieuses reliques.
Le capitaine ne manquait jamais, au cours de ses campagnes, quand les combats et ses obligations militaires lui
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