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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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aisées, que les boucles d’argent des chaussures. Des manches de la camisole de soie noire, retroussées au coude sur la dentelle de la chemise, émergeaient d’assez beaux bras, mais nombreuses étaient les femmes qui portaient un mouchoir de cou, noué avec adresse, pour dissimuler un goitre disgracieux. En revanche, le petit chapeau d’étoffe à coiffe plate et enrubannée, bordé d’un réseau de paille, incliné sur le front, conférait aux jeunes filles une grâce primesautière. Les regards que plusieurs d’entre elles, riant et se poussant du coude, lancèrent à l’officier, assis au soleil devant la taverne, traduisaient un innocent penchant à l’effronterie.
     
    Le capitaine achevait sa dégustation, en regrettant une fois de plus de n’être qu’un passant, quand un lieutenant de la Garde des consuls l’avertit que le général Bonaparte venait de se mettre en route pour Martigny.
     
    Après un dernier verre, les deux hommes sautèrent en selle et, tout en trottant sur la rive du Rhône, pressés comme des adolescents courant se baigner dans le Léman, ils s’ébaubirent devant le décor grandiose des montagnes. La plaine, où, depuis Villeneuve, ils n’avaient vu qu’étangs, vergers, prairies, bosquets de vergnes et rangs de saules, se rétrécissait soudain, devenait gorge étroite, pierreuse, stérile. Toutes les armées qui, depuis les légions romaines, s’étaient engagées dans ce sombre défilé avaient connu l’angoisse des embuscades, entre pitons rocheux, éboulis et torrents.
     
    Chemin faisant, les cavaliers rattrapèrent un jeune garçon du pays, qui se dépêchait de conduire sa mule à la réquisition. Comme d’autres paysans, il avait entendu claironner « à son de trompe dans toute la vallée que chaque pièce de canon avec ses affûts et caissons serait payée, pour son transport sur la montagne et la descente à Étroubles, six cents, huit cents ou mille francs, selon le calibre et le poids ».
     
    Le Valaisan nomma, pour les officiers, quelques sommets débarbouillés des brumes matinales : les dents du Midi, la dent de Mordes, le Grand-Muveran, le Grand-Chavalard, qui tous culminaient entre deux mille cinq cents et trois mille mètres. Un peu plus loin, Blaise et son compagnon admirèrent la cascade de Pissevache « où la Salanche fait un saut de plus de deux cents pieds 4  », précisa le paysan. Comme il touchait au terme de son voyage, le garçon crut bon d’ajouter :
     
    – Au-delà de Saint-Pierre, vous monterez peut-être dans la tourmente de neige et le brouillard, mais, si le temps est clair, vous verrez le Grand-Combin et le Grand-Vélan… et aussi le vallon des Morts, conclut-il d’un air lugubre, avant de bifurquer vers la place du Marché d’Évionnaz, où l’armée rassemblait les volontaires appâtés par le gain.
     
    – Tout le monde semble connaître l’itinéraire du gros de l’armée, constata Blaise.
     
    – On le sait depuis Genève. Malgré les consignes, il y a eu assez d’indiscrétions pour que les espions n’aient pas grand effort à faire, répliqua le lieutenant, qui ignorait l’appartenance de Blaise au service des Affaires secrètes.
     
    Pour illustrer ce qu’il venait de dire, l’officier raconta comment, deux jours plus tôt, il avait repéré, sur la route de Lausanne à Villeneuve, un jeune gaillard, lourd de formes et de maintien, qui, lors d’une halte, prenait une leçon d’armes d’un grand blond ne manquant pas d’adresse.
     
    – Quand l’assaut fut terminé, comme j’avais entendu dire que le pays était truffé d’espions, je m’enquis auprès du Suisse de la qualité du bon jeune homme, mis comme un bourgeois, dont les bottes étaient cependant pourvues d’éperons et qui paraissait fort encombré d’un grand sabre de dragon. L’homme était bavard et ne se fit pas prier pour me renseigner. « C’est un aimable garçon de Grenoble, nommé Henri Beyle 5 , dit-il, cousin et commis de M. Pierre Daru, inspecteur aux revues, qui s’en va rejoindre son parent en Italie. Il ne sait pas mieux se tenir à cheval que manier le sabre ou tirer au fusil. Entre Genève et Lausanne, son cheval, qui s’était emballé, a failli le conduire tout droit dans le lac. Sans mon domestique, qui a réussi à maîtriser la bête, notre gaillard se noyait ! C’eût été bien dommage, car c’est un homme instruit et sensible. Son portemanteau est plein de livres. Il ne parle que de Jean-Jacques

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