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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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en laissaient le loisir, de s’intéresser, en visiteur, à l’histoire du pays, aux vestiges du passé, aux curiosités locales. En Égypte, il avait souvent pris le risque de suivre un guide indigène pour découvrir une ruine isolée. Il avait, quelquefois, accompagné les savants de la commission des Sciences et des Arts, embarqués avec l’armée d’Orient par Bonaparte. Au printemps 99, Fontsalte avait même été désigné pour escorter la mission de Haute-Égypte, dirigée par Dominique Vivant Denon, antiquaire, graveur, ancien attaché d’ambassade, membre de l’Institut national, familier du salon de Joséphine. Rappelé au combat par son chef, le général Desaix, alors aux prises avec les mamelouks de Mourad, Blaise n’avait pu se joindre aux ingénieurs et aux archéologues en route sur le Nil pour étudier le cours du fleuve et les monuments pharaoniques. La guerre, grande faiseuse de ruines, primait sur l’archéologie !
     
    À Saint-Maurice, bien que l’on gardât encore, comme à Vevey, un assez mauvais souvenir de la division Xaintrailles qui, détachée de l’armée du Danube en mai 1799, avait cruellement réprimé la rébellion du Valais, les Français étaient cependant mieux accueillis qu’en Égypte ! Ce fut donc sans réticence que le sacristain de la basilique montra à l’officier l’objet le plus rare du trésor : un flacon cacheté de cire romaine et contenant, affirma le convers, le sang d’un des dix mille chrétiens, soldats de la légion thébaine, cernés et massacrés en 287, sur ordre de l’empereur Maximien, pour avoir refusé de sacrifier aux dieux païens. Maurice, l’officier qui commandait les légionnaires, avait subi le même sort que ses hommes et accédé ainsi à la sainteté avant de donner son nom à la cité. Le sacristain invita l’officier à baiser la précieuse relique et, pour ne pas choquer les convictions de son guide, Blaise s’exécuta. Le dépôt brun sous le verre irisé offrait en effet l’apparence du sang.
     
    – Sang de martyr, sang de soldat, sang de saint, sang de païen, où est la différence ? murmura Blaise de Fontsalte, sceptique.
     
    – Le martyre sanctifie le sang chrétien, Monsieur l’Officier, répliqua le servant.
     
    – La guerre n’est-elle pas le martyre du soldat, mon brave ? Et cependant, trouvera-t-on, de nos jours, une pieuse Valaisanne pour conserver dans une bouteille le sang de celui qui, passant vos montagnes, s’en ira demain mourir en Lombardie ? Lui bâtirez-vous un temple pour l’édification des voyageurs de l’avenir ?
     
    Le sacristain, un de ces goitreux à l’esprit lent, nombreux dans le bas Valais 3 , ne sut que répondre. Blaise lui glissa un batz pour sa peine et eut droit, pour cette générosité excessive, à l’exhibition d’autres pièces du trésor qui lui parurent plus authentiques que le sang du légionnaire thébain : un vase en sardonyx romain, transformé en reliquaire à l’époque mérovingienne, et une aiguière en or que le goitreux dit avoir été oubliée par Charlemagne lors de son passage en l’an 801, alors que l’empereur « à la barbe fleurie » revenait de Milan par le col du Grand-Saint-Bernard.
     
    Quittant la basilique, le capitaine Fontsalte s’en fut, pour tromper l’attente, se désaltérer à la taverne voisine. Deux décis d’un excellent vin blanc, que le tenancier servit en offrant à l’officier quelques fines tranches de viande séchée au vent des cimes, chassèrent l’agacement que provoquaient chez cet Arverne, qui croyait en Dieu mais se méfiait de ses ministres et interprètes, la vénération des reliques et la crédulité du peuple.
     
    Depuis qu’il avait appris que les Toscans révéraient, avec une égale ferveur, trois pouces momifiés de sainte Catherine de Sienne, son scepticisme, devant une si miraculeuse multiplication digitale, s’était accru d’un tiers.
     
    Tout en appréciant d’avoir vingt ans, d’être à l’aise dans son uniforme, seconde peau du soldat, et de ne connaître d’autre souci que celui du moment, Blaise suivait du regard les jeunes paysannes qui, en ce samedi, jour de marché, allaient faire leurs emplettes. La plupart d’entre elles étaient grandes, blondes au teint clair et plutôt jolies. Leur costume, cependant, ne mettait guère en valeur tailles dégagées et bustes saillants. La longue jupe de damas, sous le tablier d’indienne genevoise, ne laissait voir, chez les plus

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