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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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blanc d’ici sans prendre une bouchée. Sont vraiment braves, ces gens, pas bien drôles, un peu bourrus, mais braves, conclut Titus en tendant sur sa large paume deux beignets au capitaine.
     
    Fontsalte en croqua un, le trouva tiède et crémeux. Fouillant dans la fonte attachée à sa selle, il tira d’un étui de cuir une timbale d’argent, un peu cabossée mais marquée à son chiffre. Trévotte y versa du vin puis, sans façon, but une longue rasade au pichet. Les deux hommes reconnurent que le breuvage était frais, sec et, en même temps, chaleureux. Le vague à l’âme de Fontsalte se dissipa.
     
    – Il y a une certaine magie dans ce vin, dit-il.
     
    – Il l’a appelé dézaley 11 , paraît que c’est leur meilleur. Bien sûr, ça vaut pas un meursault de chez moi, capitaine, mais ça se laisse boire !
     
    L’ordonnance leva le pichet vers l’officier pour emplir à nouveau son gobelet, mais Fontsalte refusa d’un mouvement de tête. Sans une hésitation, Titus vida le pot et s’en fut le rendre au débitant, qui, sur le pas de sa porte, avait suivi la scène.
     
    – Bien brave, mais pas très gracieux, ce tavernier. Il était bien obligeant de nous offrir à boire, mais je crois qu’il est aussi bien content de nous voir nous en aller, commenta Titus.
     
    – Allons, en selle, maréchal des logis, il nous reste encore une bonne lieue avant d’arriver à Vevey, dit Fontsalte, après avoir adressé au marchand de vin un signe de la main.
     
    Tandis qu’ils rendaient la bride à leurs montures pour descendre vers le bord du lac, Blaise de Fontsalte admira un nouvel aspect du paysage. Le soleil avait maintenant dissipé les brumes, le léger vent de l’aube était tombé et le Léman, gris et mat comme un vieil étain une heure plus tôt, offrait, sans une ride, des reflets lavande. Au loin, le vignoble s’amenuisait, cédait les contreforts arrondis des montagnes aux pâtures. Droit devant, au-delà du lac, derrière les premières chaînes qui semblaient soudain s’être rapprochées, les cavaliers distinguaient les cimes, dont les arêtes gelées prenaient, sous le soleil, l’éclat du cristal.
     
    Ce décor, bien que lointain et figé comme une toile de fond sur une scène, impressionna le maréchal des logis Trévotte.
     
    – Quand je vois ces montagnes, avec leur chapeau de neige, je me demande comment on va passer de l’autre côté. Paraît que la montagne du Grand-Saint-Bernard est encore plus haute que celle-ci. C’est l’ordonnance du général Marescot qui me l’a dit, fit Titus en désignant, sur l’autre rive du lac, la dent d’Oche, dont le sommet blanc émergeait de la brume.
     
    – Nous devrons, en effet, grimper longtemps, mais cela ne doit pas être bien terrible. J’ai entendu le général Lannes dire : « Le Saint-Bernard est un petit monticule facile à franchir au pas de course », répliqua, avec un rien d’ironie, Fontsalte.
     
    – Citoyen capitaine, vous savez bien que les généraux voient toujours les ennemis moins nombreux qu’ils sont, les étapes plus courtes sur les cartes que par les chemins et la soupe du soldat aussi bonne que la leur ! Sûr qu’ils nous escobardent aussi pour la hauteur des montagnes !
     
    Blaise décida un arrêt, pour faire souffler les chevaux avant d’entrer à Vevey, dont on distinguait les premières maisons. Il ôta son colback, s’épongea le front du revers du gant, se recoiffa, lissa sur les flancs de son cheval sa schabraque de drap vert, agrémentée d’une soutache d’or à l’orientale, coquetterie de cavalier, et entreprit, une nouvelle fois, de rassurer Trévotte.
     
    L’officier, imbu des principes éducatifs de la Révolution, ne manquait jamais de se faire pédagogue pour les gens simples. Ceux qui, comme lui, avaient, par leur naissance, bénéficié d’une substantielle instruction ne devaient-ils pas répandre leur savoir et partager leurs connaissances avec ceux qu’une basse condition avait maintenus dans l’ignorance ? Aux yeux de cet aristocrate altruiste et sincère, Trévotte représentait le peuple inculte. Il devait donc, à chaque occasion, être instruit et éduqué.
     
    – Apprends, mon garçon, que l’hospice du Grand-Saint-Bernard, où je compte bien que nous coucherons dans trois jours, se trouve sur un passage des Alpes pennines déjà connu des Celtes et très fréquenté par les Romains, qui nommaient le Saint-Bernard mont Jovius. Ils y avaient

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