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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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oublièrent une nouvelle fois ensemble tout ce qui n’était pas délices de l’instant.
     
    Bien que lointaine, la dent d’Oche, dont la couronne de neige était éclairée par la lune, s’inscrivait, proche à toucher, dans le cadre de la fenêtre, comme une toile peinte. Cette aberration visuelle augmenta chez Blaise le sentiment qu’il vivait, depuis son retour à Vevey, une aventure irréelle, une halte dans un monde où les pesanteurs, la banalité du quotidien et le temps paraissaient sublimés en instants qu’aucune pendule ne décomptait. La montagne savoyarde, élément lointain du décor lacustre, s’imposait comme unique témoin d’un amour naissant. Les amants ne s’endormirent qu’à l’aube et ce fut un hennissement de Yorick qui les tira du sommeil. Il faisait grand jour, le lac n’était qu’un reflet de soleil éblouissant.
     
    – Mon Dieu, qui crie ainsi ? lança Charlotte en se dressant sur le lit.
     
    – N’ayez aucune crainte, Yorick réclame sa ration d’avoine et un seau d’eau, je vais le panser.
     
    Blaise se couvrit, chaussa ses bottes et sortit sur la terrasse.
     
    – Blaise, attention aux guêpes… près du puits.
     
    Une heure plus tard, ils étaient en train de picorer les reliefs de leur repas de la veille, quand ils entendirent grincer les essieux de la charrette de Flora.
     
    Aussitôt, Charlotte quitta la table pour aller au-devant de son amie. Au bout d’un moment, elle revint seule avec un panier couvert d’un torchon.
     
    – Chance, chance, chance, Guillaume ne rentrera que cet après-midi de Meillerie. Nous avons encore des heures à nous ! Flora nous a apporté un poulet rôti, des croquettes au fromage et des pêches. Elle reviendra me chercher plus tard, quand elle verra le bateau, lança-t-elle, joyeuse, à Blaise.
     
    – Elle n’est peut-être pas si mauvaise qu’on croit, Flora, concéda Fontsalte en mordant un pilon de volaille.
     
    – Elle ne pense qu’à mon bonheur. Elle est heureuse quand je suis heureuse et, pour elle, l’amour n’est jamais un péché. Et puis, quand vous serez loin, elle sera la seule avec qui je pourrai parler de vous. Elle finira par vous aimer.
     
    – Un soudard français !
     
    – Vous êtes un seigneur, Blaise, pas un soudard, mais je voudrais que vous ne m’appeliez plus Charlotte, comme tout le monde. Je voudrais que vous me donniez un nom qui ne soit qu’à nous. Voulez-vous me faire ce plaisir ? Trouvez-le.
     
    Fontsalte fit le tour de la table, vint s’asseoir près de la jeune femme, la souleva et la prit sur ses genoux.
     
    – Vous êtes si blonde, si dorée et si rayonnante ce matin que j’ai envie de vous appeler Dorette.
     
    – Dorette ! Oui, oui, Dorette, ça me plaît bien. Quand vous m’écrirez – car vous ne pouvez plus maintenant me laisser sans nouvelles de vous – vous n’aurez qu’à écrire Dorette sur le pli.
     
    – Où vous écrirai-je ? Après ce que vous m’avez dit des commères de Vevey…
     
    – Vous m’écrirez, sous double enveloppe, chez Rosine Mandoz, épicerie fine, La Tour-de-Peilz. C’est la sœur de Flora. Elle me portera vos lettres… si toutefois vous m’écrivez, ce que je ne crois guère, car je serai vite oubliée, conclut Charlotte avec un rien de mélancolie.
     
    Blaise, pour toute réponse, se leva et, portant la jeune femme, retourna dans la chambre, claqua la porte du talon et la jeta sur le lit.
     
    – Oh ! Blaise, oui, oui, aimons-nous jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si je mourais de plaisir dans vos bras, vous ne m’oublieriez pas, dit-elle, des larmes plein les yeux.
     
    – Vivante, je ne vous oublierai pas non plus… Dorette, on n’oublie pas de telles heures, on ne souhaite que les revivre.
     

    Vint le moment où il fallut mettre de l’ordre dans la maison et guetter, sur la terrasse, le retour de Flora. Blaise, qui avait beaucoup lu, succombait parfois, quand il avait le vague à l’âme, à ce que son père appelait la mode troubadour, résurgence du sentiment héroïque et chevaleresque. Devant le site devenu familier, la tête de Charlotte sur l’épaule, il sentit monter en lui une bouffée d’amour pour cette femme qui s’était offerte avec la candeur et la fougue des vraies amoureuses.
     
    – Dès demain, il nous faudra vivre de nos souvenirs et ce ne sera pas aussi simple que de vous embrasser à tout instant, dit-elle en posant ses lèvres sur le front de Fontsalte.
     
    Puis,

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