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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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après un silence, elle reprit :
     
    » J’ai confiance en vous. Je sais que je ne vous verrai pas souvent, mais j’irai d’une rencontre à l’autre, en imaginant votre retour. Je n’attendais rien, et maintenant j’attendrai Blaise, vous, Blaise, que vous !
     
    Elle enfouit son visage au creux du cou de Fontsalte et ils restèrent ainsi jusqu’au moment où apparut sur le lac une grande barque qui, les voiles en oreilles, avançait vers Vevey, dont on distinguait les toits, loin, au bas des vignes. Blaise prit sa longue-vue et, l’ayant réglée, la tendit à Charlotte sans un mot.
     
    – C’est l’ Étoile-Filante , la barque de mon mari. Je dois rejoindre Flora dont j’entends la charrette. Il faut nous quitter, Blaise.
     
    Longuement, ils s’étreignirent, Charlotte tournant le dos au lac, où glissait le bateau.
     
    Malgré son émotion, perceptible à la trémulation des lèvres, comme en ont les enfants qui veulent à tout prix retenir leurs larmes, Charlotte Métaz rassembla ses paniers. Blaise l’accompagna jusqu’au bout de la terrasse, car elle ne souhaitait pas que Flora fût témoin de leurs adieux.
     
    Avant de la laisser aller, Blaise tira de sa poche un portefeuille en cuir fin et blasonné.
     
    – Tenez, je l’ai fait faire à Milan. Ce sont les armes de ma famille. Elles s’énoncent : « d’azur à deux yeux, l’un d’or l’autre d’argent, chacun surmonté d’une étoile de sable et accompagnés en pointe d’une eau jaillissante d’or », car Fontsalte veut dire fontaine salée.
     
    – Deux yeux, l’un d’or, l’autre d’argent… Ah ! mon Dieu, Blaise…, comme je vais être malheureuse ! gémit soudain Charlotte.
     
    Il la prit dans ses bras pour l’embrasser encore. Sur le lac, dans le soleil déclinant, le bateau approchait sous ses voiles croisées, nef ironique à l’élégance fallacieuse. Blaise se vit, nouveau Tristan, contraint d’abandonner la blonde Iseut à l’époux de retour.
     
    – Nous nous reverrons, dit-il. Je vous le promets.
     
    Elle répondit d’un regard incrédule, douloureux, embué de larmes, et quitta la terrasse en courant.
     
    Jusqu’à ce qu’elle eût disparu dans les méandres du chemin, Fontsalte suivit, à l’aide de sa longue-vue, la descente de la charrette qui emportait sa maîtresse d’une nuit vers le lac, tandis que, sur l’eau bleue, la grande barque portait Guillaume Métaz à la rencontre de sa femme.
     
    Longtemps, Blaise demeura sur la terrasse, sirotant du vin blanc jusqu’à ce que la nuit transformât le Léman en une immense et sinistre dalle de marbre noire. Alors, il se sentit seul, exclu du monde où vivaient les Dorette. Étranger un moment admis au partage de l’amour et contraint à reprendre la route avant que d’être rassasié, il revit par la pensée le petit cercle de Rive-Reine, où il n’aurait jamais sa place. Il sut, à cet instant, qu’il n’oublierait pas Charlotte Métaz.
     
    Chez Fontsalte, ce genre de délectation sentimentale ne durait guère. Après avoir passé de délicieux moments avec une femme beaucoup moins sotte qu’il n’avait cru, dont il ne savait presque rien, sinon qu’elle possédait l’instinct du bonheur, la science innée des gestes de l’amour, un véritable appétit de volupté et une parfaite équanimité dans l’adultère, la solitude retrouvée lui procura une sorte de jouissance mélancolique qui devint bientôt exaltation égoïste. Être fort, être seul, être libre, avoir vingt ans, une épaulette de major, la vie devant soi, des lauriers à conquérir et des femmes à aimer, quoi de plus grisant dans un siècle où l’Europe était à faire ou à prendre ?
     
    Naturellement, si l’occasion se présentait à lui de revenir à Vevey vivre un moment de passion avec Dorette, il ne négligerait pas cette récréation, mais, ni lui ni elle n’ayant prononcé le « je vous aime » qui engage les cœurs, leur relation resterait connivence charnelle, bourgeoisement teintée de bluette.
     
    Il retrouva le lit aux draps fripés, crut y reconnaître une odeur de verveine, parfum de l’absente, et s’endormit harassé et confiant.
     

    Au petit matin, le chaud soleil d’été le rappela aux réalités du jour et de ses missions. Il s’en fut panser son cheval et puiser de l’eau. Il avait encore dans l’oreille la voix de Charlotte : « Attention, Blaise, les guêpes. » Nu sous la charmille, il fit une toilette

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