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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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maladroites,
vulgarités lexicales, défaillance des articulations logiques.
    Or, chez Hergé, ce ne sont pas seulement les retrouvailles avec une phase antérieure, sinon périmée, de la narration qui s’avèrent à l’œuvre. On verra dans ce qui suit
qu’en dépit d’un archaïsme apparent, le discours des personnages n’obéit pas moins à un souci d’écriture très
moderne. Non seulement parce que la parole n’est pas
décorative : loin de n’illustrer que l’intention et l’être des
personnages, elle est au contraire la force qui les constitue.
Mais aussi et surtout parce qu’elle n’est jamais close sur
elle-même, prisonnière de l’instant où elle s’énonce : cette
parole peut être un carrefour textuel, un point de rassemblement où se rehausse le degré d’organisation interne de
l’ensemble de l’œuvre.
     
    2. « Anthropopithèque » ou la justesse des insultes
     
    Le discours qui servira ici d’exemple est celui du capitaine Haddock, sans doute la création verbale la plus
importante de l’œuvre d’Hergé. Or, en dépit des innombrables recensements auxquels ils ont pu donner lieu, les
fameux chapelets d’insultes avec lesquels le personnage a
fini par se confondre 3  restent bien mal connus.
    Rappelons d’abord le commentaire d’Hergé lui-même.
Dans ses Entretiens avec Numa Sadoul, il s’explique ainsi
sur les « mots » du capitaine Haddock :
Là, c’est surtout la sonorité qui me guide. Il y a des termes
qui ne sont pas des injures mais qui, lancés avec une certaine
véhémence, ont l’air d’épouvantables insultes. Plus c’est
savant, plus c’est sans réplique : « Oryctérope » !… Mettez-y
le ton qui convient et votre adversaire ne s’en relève pas 4 .
    La recette est simple : un mot fera mouche s’il allie la
force sonore et le saugrenu. Or, si cette double propriété
suffit à rendre compte des sursauts des personnages, elle
n’explique pas tout à fait ce qui se passe au niveau de la
lecture de l’insulte. La perception du lecteur comprend les
réactions du personnage, mais ne peut en aucune façon
être confondue avec elles.
    Mais relisons, afin de mieux mesurer cet écart. D’après
Hergé, la qualité de l’insulte ne doit pas peu au vide
sémantique des termes qu’elle met en jeu. Le mot rare etle jargon sont très efficaces dans la mesure où l’adversaire
n’a pas accès à la signification des mots décochés. Toute
réplique, ainsi, lui reste interdite. Cependant ces mots, y
compris les plus bizarres, signifient. Il y a, chez le capitaine, détournement d’un vocabulaire (en l’occurrence
scientifique), il n’y a pas à proprement parler de création
lexicale. Absence d’autant plus significative que rien n’est
plus commun, quand le discours laisse vraiment l’initiative au son, que ce penchant néologique : de Rabelais à
Céline, l’invective ne s’est pas abstenue d’enrichir le dictionnaire. Il est vrai qu’il arrive au capitaine de franchir les
limites du fonds existant, mais c’est pour se cantonner
alors dans le domaine des hurlements et du bruit pur :
réserve d’onomatopées trop spécialisées et surtout bien
trop reconnaissables pour être à même de contaminer la
structure d’ensemble des injures.
    Pour les personnages, certes, le but d’une polémique
n’est pas la vérité, mais la victoire. En déduire que, dès
lors, le contenu sémantique propre des injures ne tire plus
guère à conséquence, ne peut toutefois conduire qu’à un
appauvrissement de la lecture.
    Toujours d’après Hergé, et c’est un deuxième point,
l’efficacité de l’insulte est non seulement un fait d’énoncé,
mais aussi d’énonciation. Seul touche juste le mot proféré
avec quelque emportement. Ratez le ton, et rien ne va
plus. Mais ici encore, la position du lecteur diffère absolument de celle du personnage. Dans une bande dessinée,
en effet, l’émission verbale ne se donne à entendre que
médiatisée par l’écriture. En ce sens, elle est image, et
muette. De plus, et alors qu’il le fait couramment pour les
onomatopées ou les interjections, Hergé n’ajuste presque
jamais la graphie des injures à la violence avec laquelle
elles se produisent. L’intensité sonore n’est pas traduitepar la déformation des lettres, mais se peint sur le faciès et
dans les postillons du capitaine.
    Une exception intéressante se donne à lire à la page 38
du Crabe aux pinces d’or , l’album où

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