Herge fils de Tintin
le 9 mai 1945.
D’abord condamné à mort, il vit sa peine commuée et fut libéré
conditionnellement le 22 février 1951.
28 Lettre de Germaine Kieckens à Hergé, 25 juillet 1946.
29 Lettre d’Hergé à Paul Jamin, 21 juillet 1946.
30 « Conversation avec Hergé », in Benoît Peeters, Le Monde
d’Hergé , édition définitive, Casterman, 1990, p. 210.
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Le lancement de Tintin
Ce n’est pas le moment de baisser les bras. Car, si Hergé
n’est pas parti au Coq-sur-Mer avec Germaine, en ce mois
de juillet 1946, c’est parce que la préparation du journal Tintin bat son plein. La société des Éditions du Lombard
vient d’être créée, sans les premiers associés, Sinave et
Debaty, qui n’avaient pas assez de moyens. Restent Hergé,
Georges Lallemand, et surtout Raymond Leblanc qui,
grâce à son dragueur de gravier, peut prendre la majorité
des parts.
Rapidement la discussion se fait plus concrète. Que va-t-on mettre dans ce nouvel hebdomadaire ? Les références
au Petit Vingtième ne sont pas d’une grande aide. D’abord
parce que les temps ont changé et que la concurrence est
vive. Et surtout parce qu’il n’est plus question pour Hergé
d’être le seul dessinateur d’un hebdomadaire. Il faut
s’entourer d’une équipe. C’est en discutant avec Jacques
Van Melkebeke que Hergé la constitue.
Un premier complice s’impose tout naturellement :
c’est le cher Edgar Jacobs avec lequel il poursuit depuis
deux ans une collaboration sans nuages. Le Rayon U lui a
permis de faire la preuve de son talent, mais, par la forcedes choses, il s’agissait d’un prolongement de Flash
Gordon d’Alex Raymond. Cette fois, il pourra donner
toute sa mesure en créant une série véritablement personnelle.
Dans leurs bagages, Jacobs et Van Melkebeke amènent
aussi leur ami Jacques Laudy, autre ancien de Bravo ! où il
avait introduit Jacobs ; il serait malvenu de ne pas lui
rendre la pareille. Fils de peintre et lui-même plus tenté
par la peinture que par la bande dessinée, « vaillant chevalier du Moyen Âge, né par erreur au XX e siècle », comme il
se définira lui-même dans l’hebdomadaire, Jacques Laudy
a bien l’intention de proposer une histoire médiévale. Ce
sera La Légende des quatre fils Aymon .
À ces professionnels confirmés s’ajoute un tout jeune
homme du nom de Paul Cuvelier. En 1934, âgé de six ans
et demi, il avait publié un premier dessin dans Le Petit
Vingtième . Onze ans plus tard, il est venu de Mons, son
carton à dessins sous le bras, montrer ses travaux à Hergé.
L’entrevue s’est passée on ne peut mieux. « Vous venez
me demander des conseils… C’est moi qui devrais vous
en demander », lui aurait dit l’auteur des Aventures de
Tintin , pourtant peu prodigue en compliments. C’est un
neveu de l’abbé Wallez, Paul Hennebert, qui avait servi
d’intermédiaire et qui remercie Hergé d’avoir si bien reçu
son ami, « un brave type, qui manque de confiance en lui.
Il se croit toujours inférieur, alors qu’en fait c’est un artiste
qui a du talent 1 ».
Quelques semaines après la première visite de Cuvelier,
Hergé lui écrit avec un enthousiasme tout à fait inhabituel
chez lui : « Amenez, amenez vos dessins ! Vous ne pourriez imaginer quelle joie j’éprouve à découvrir en eux
toutes les caractéristiques d’un authentique talent. »Comme promis, il a montré ses travaux à Jacques
Van Melkebeke, « qui est certainement le meilleur critique que nous ayons eu depuis longtemps en Belgique. Il
est arrivé à la même conclusion que moi : vous possédez
un talent extraordinaire qui, si vous travaillez, fera de vous
un très grand artiste 2 ». Van Melkebeke est d’ailleurs prêt
à lui donner des conseils, sur « les notions pratiques de
peinture » qui lui manquent encore. Mais Hergé tente
surtout d’amener le jeune homme à la bande dessinée, au
cours de la longue conversation qu’ils ont ensemble
l’après-midi et le soir du 27 mai 1945. Un peu comme un
test, il lui confie le scénario et la première planche d’une
des trois histoires conçues avec Jacobs sous le pseudonyme
d’Olav : Tom Colby, le Canyon mystérieux . L’essai s’avère
plus que concluant. Si jeune soit-il, Cuvelier est mûr pour
lancer sa propre série.
En juin 1946, Hergé incite donc l’enfant prodige à
développer sous forme de bande dessinée une histoire
qu’il avait l’habitude de raconter
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