Herge fils de Tintin
tout reprendre au
point de départ. Mais il n’est pas question non plus de
recommencer là où il s’était arrêté : les nouveaux lecteurs
n’y comprendraient rien. Hergé tente de trouver un compromis acceptable : il revient un peu en arrière, résumant
« l’affaire des boules de cristal » sous la forme d’une
longue coupure de presse. Malgré tous ses efforts, cela ne
fait pas un début d’histoire très accrocheur. D’autant que,
dès le deuxième numéro, on tombe sur un Haddock
accablé de tristesse, à cause de l’enlèvement de Tournesol.
Il est difficile de ne pas y voir un écho des problèmes que
Hergé a connus depuis deux ans.
Le second problème est d’ordre graphique. Pour des
raisons techniques (la répartition de la couleur dans le
journal), mais aussi rédactionnelles (Tintin doit être au
cœur d’un hebdomadaire qui porte son nom), Hergé s’est
réservé la double page centrale. Bien vite, il se rend
compte qu’il lui est impossible de livrer réellement deux
planches de bande dessinée par semaine. Devenu expert
dans l’art du remontage, il décide de réaliser parallèlement deux versions de l’histoire : l’une, verticale, destinée
à l’édition en album et limitée à soixante-deux pages ;
l’autre, en doubles pages horizontales, réservée à l’hebdomadaire.
Outre Le Temple du Soleil , la présence de Tintin est
considérable dans le journal. De l’éditorial « Tintin vousparle » à la rubrique « Tintin raconte », en passant par
« Mon courrier », « Les entretiens du capitaine Haddock »
et « Les propos du major Wings », tout est fait pour donner
au lecteur l’impression que cet hebdomadaire mérite vraiment son nom. Lorsque, le 19 décembre 1946, le journal
passe à seize pages, de nouvelles rubriques mettant en scène
le reporter apparaissent instantanément : « Tintin
scoutisme », « Tintin sports » ainsi que « Trucs et ficelles »
que signe Tryphon Tournesol en personne. De plus, la première aventure de Jo et Zette, Le Rayon du mystère , commence à reparaître. Pas de doute, ce journal est bien celui
d’Hergé, d’autant que nul dessinateur ne peut y publier si
ses travaux n’ont pas reçu son agrément.
Le succès de l’hebdomadaire se confirme et les polémiques repartent de plus belle. Comme le raconta Raymond Leblanc, « il y avait déjà eu des manœuvres pour
empêcher notre projet d’aboutir. Maintenant que le
journal Tintin existait, d’autres manigances visaient à
l’empêcher de continuer. […] En 1946, l’Union des journalistes était extrêmement puissante. Elle faisait régner un
climat d’ostracisme inimaginable à l’endroit de tous ceux
qui avaient publié pendant la guerre 6 ». Le communiste
Fernand Demany est l’un des plus constants pourfendeurs des « journalistes marrons ». À l’en croire, la création de l’hebdomadaire Tintin « réveillera de pénibles souvenirs chez ceux qui se rappellent Le Soir « volé » auquel
Hergé apportait le concours de son incontestable
talent 7 ». Mais il n’est pas le seul à s’indigner. Le journal
catholique La Cité nouvelle n’est pas moins virulent.
Manifestement, Hergé a perdu une partie de ses soutiens
traditionnels :
Non seulement, le dessinateur emboché n’a pas été poursuivi,
mais il est autorisé aujourd’hui à faire paraître un Tintin dédouané, avec contingent de papier officiel. Incivique, ce
traître, cet individu qui a servi les desseins de l’ennemi pour
des gages substantiels, peut librement reprendre son crayon et
remettre dans le commerce sa petite brigade de
« Hitlerjugend » … Faudra-t-il que les gosses des fusillés et des
prisonniers politiques aillent enseigner la décence à cet individu qui n’a pas hésité à utiliser au bénéfice de l’ennemi l’innocent amusement des enfants ? M. Tintin et sa Hitlerjugend ,
votre patron a sa place à la prison de Saint-Gilles 8 .
Le scandale s’amplifie au point que l’auditeur Vinçotte
est relancé. Le 2 février 1947, l’auditeur général Ganshof
van der Meersch confirme sa position au ministre de la
Justice : « Eu égard au caractère particulièrement anodin
des dessins publiés par G. Remi, des poursuites devant le
Conseil de guerre eussent été à la fois inopportunes et
aléatoires. » Il n’en reste pas moins que le sujet provoque
une intervention en séance plénière au parlement et
qu’une commission se trouve saisie
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