Herge fils de Tintin
Rallic… – bénéficièrent d’un non-lieu
dès le 28 mars 1945. Les tribunaux français se voulaient
indulgents pour « ces images purement enfantines ». « Dès
lors, il n’est pas difficile aux anciens du Téméraire de se
recaser dans la presse populaire, toujours aussi peu légitimée », notamment dans Vaillant que contrôle le parti communiste. « Ici, comme en beaucoup de lieux de la vie culturelle française, la continuité l’a donc emporté sur la
rupture », écrit Pascal Ory 25 . On ne peut en dire autant de la
Belgique.
Un autre dessinateur, au dossier beaucoup plus chargé
que Hergé, a des ennuis infiniment plus graves. D’abord
condamné à mort pour ses dessins dans Le Pays réel et le Brüsseler Zeitung , Paul Jamin a vu sa peine commuée en
prison à perpétuité. Hergé a reçu une lettre depuis plus
d’un mois, et n’a pas encore eu le courage de lui écrire. Sa
réponse est prudente ; il sait qu’elle sera certainement lue
avant d’atteindre son ami :
Je suis […] convaincu, comme toi, que tout cela finira par
s’arranger.
Les esprits s’apaisent petit à petit et l’on finira par s’apercevoir que le châtiment qui devait t’être infligé n’était vraiment
pas en rapport avec le crime que tu avais commis. Et un jour
– peut-être pas tellement lointain – tu sortiras de là mûri,
grandi, formé par cette terrible épreuve.
Hergé conseille à son ami de lire et dessiner le plus possible. « Comme c’est ton dessin qui t’a mené là, il n’estque juste qu’il contribue à te sauver, j’entends moralement. » Le terrain est glissant, tant Hergé s’en sort mieux
que Jam. Il est préférable d’évoquer avec tendresse un passé
d’allure lointaine, les débuts du Petit Vingtième : les siestes
de Mgr Schyrgens et les farces au comte Perovsky…
Qui aurait pu imaginer, à cette époque, que de tels événements auraient pu se dérouler ? La guerre, certes, on y pensait. Depuis celle de 14-18, on ne parlait que de cela ; on sentait qu’elle était inévitable ! Mais jamais on n’avait imaginé
une guerre comme celle-là, doublée d’une véritable guerre
civile… Qui donc aurait imaginé que les Belges en seraient
venus à se haïr avec cette violence ?
Ah ! la haine, la haine !… Notre pauvre pays en est encore
empoisonné. Il en guérira bien sûr. Mais en attendant, que
de larmes, que de souffrances, que de deuils 26 !
Quand Hergé écrit à Germaine, partie quelques jours à
la plage du Coq avec sa mère, son ton est beaucoup plus
direct. Les jugements du procès du Soir viennent d’être
prononcés :
D’un côté, mansuétude : Meulepas, pour lequel on réclamait
7 ans, écope de 4 ans ; De Proft (5 ans) encaisse 2 ans ; Brohée
(3) également 2 ; Colmant (3) en est quitte avec 1 an.
Mais les autres ! De Becker était menacé de détention
perpétuelle : il est condamné à mort ! Schaenen, à la détention perpétuelle, alors que l’auditeur réclamait 20 ans…
Grotesque et ignoble !
La pauvre maman de De Becker se trouvait dans la salle. Elle
n’avait pas compris et croyait que son fils avait la détention
perpétuelle, comme prévu. Elle félicitait Meulepas, qui de
son côté n’osait pas lui dire la vérité 27 .
Juste avant de recevoir ces nouvelles, Hergé était en
train de chercher des idées humoristiques pour un calendrier scout. Il ne se sent plus vraiment dans l’état d’esprit
adéquat. Jamais à court d’idées, son ami Bernard Heuvelmans vient à son secours et propose une série de gags.
Hergé, lui, ne rêve que de rejoindre Germaine, sa « petite
femme chérie », en laissant tomber un travail pour lequel
il ne se sent aucun appétit. Il est d’humeur sentimentale,
évoquant avec nostalgie l’hôtel où elle se trouve :
C’était il y a quelques jours à peine, c’était hier, me semble-t-il, que je t’écrivais là-bas, au Coq, à ce même « Joli-Bois ».
[…] Te souviens-tu ?… Une seule différence : j’écrivais alors
à Mlle Germaine Kieckens. À présent… Mais dans le fond
c’est la même chose. Tu es toujours la même jeune fille que
je chérissais. Et que je chéris toujours de la même façon.
Non, pas de la même façon : je la chéris davantage.
Germaine réagit dès le lendemain. La longue lettre de
Georges lui a mis les larmes aux yeux. Sa réponse a des
accents prémonitoires :
C’est curieux, moi aussi j’avais évoqué ces mêmes
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