Herge fils de Tintin

arrière-plans. Le gros plan exigeait six couches et le
décor le plus éloigné une seule couche. Chaque petite
joue de Tintin était faite à l’estompe et avec du pastel 2 . »
     
    Les rapports d’Hergé avec Bernard Thièry n’ont cessé
de se détériorer. Au mois de mai, le dessinateur découvre
que son agent a touché des sommes beaucoup plus conséquentes que ce qu’il lui annonçait. Certaines affaires lui
ont été dissimulées ; d’autres ont été conclues dans des
conditions plus que discutables. Thièry n’a-t-il pas essayé
d’arracher de l’argent à Gérard Liger-Belair, alors que ce
dernier avait dessiné gratuitement les plans de « La
Licorne » ? Hergé résume ses griefs dans une longue lettre
à son agent, avant de conclure :
Vous voudrez bien admettre que, dans ces conditions, la
confiance réciproque qui doit présider à l’exécution d’un
contrat devient impossible.
    Je dénonce par conséquent ledit contrat en vous donnant
huit jours pour le faire à l’amiable, étant entendu que passé
ce délai je prendrai toutes les mesures que la situation peut
comporter 3 .
    Après de vaines tentatives de rendez-vous, un très long
courrier de Bernard Thièry arrive le 19 mai. Mais le dessinateur n’est pas convaincu par ses explications. Davantage que l’argent perdu, c’est le sentiment de trahison quil’accable. Dans le mémoire qu’il rédigera un peu plus tard
sur l’affaire, il notera :
J’ajouterai que le surmenage dont je souffrais, et la dépression nerveuse qui en avait résulté, avaient été provoqués en
grande partie par les agissements de M. Thiéry.
    La création de dessins humoristiques comme Tintin exige
une tranquillité d’esprit et une sérénité totales. Or, le conflit
qui m’opposait à M. Thiéry n’était pas de nature à
m’apporter la paix dont j’avais grand besoin.
    Pourtant, M. Thiéry savait que cette paix m’était nécessaire.
N’est-ce pas pour cette raison qu’il était venu me trouver en
1942 ? Pour me débarrasser de tout souci d’ordre commercial, afin de me permettre de travailler à mes dessins en toute
quiétude 4  !
    Le 22 mai 1947, le quarantième anniversaire d’Hergé
est sinistre à souhait 5 . Comme chaque fois qu’il est
déprimé, il somatise de diverses façons : il dort mal, ne
digère pas et souffre de violentes crises d’eczéma et de
furonculose. Sa fatigue le rend irritable et des scènes avec
Germaine éclatent pour un rien. Les médecins qu’il
consulte sont unanimes à lui prescrire un repos complet.
Laissant son histoire en plan, il part camper avec Marcel
Dehaye chez un certain Marius Chopplet, à Lescaillère,
tout près de la paroisse du père Bonaventure Fieullien.
L’ancien animateur de « Capelle-aux-Champs » officiedésormais à la frontière française, dans la minuscule
paroisse de Regniowez.
    Hergé touche le fond. La moindre chose le rend
malade. Ainsi, après une journée tranquille au soleil, le
père Fieullien est venu lui montrer quelques gravures, sollicitant son avis :
Trois quarts d’heure plus tard, je demandais grâce et, accompagné de Marcel qui prend soin de moi comme une maman,
nous avons été nous allonger dans l’herbe à quelque distance
du village.
    C’est alors, et alors seulement, que j’ai pu me rendre compte
de mon état. La moindre fatigue (en l’occurrence, la critique
que j’avais faite des dessins du père) me laisse brisé, au bord
des larmes. C’est gai 6  !
    Dans ses propres lettres, Germaine adopte un ton aussi
rassurant que possible, presque comme si elle parlait à un
enfant. Elle donne des nouvelles de l’affaire Thièry, qui est
maintenant dans les mains des avocats. L’agent serait persuadé qu’il va perdre le procès : « Comme tu le vois, tout
finit toujours par s’arranger. Et les méchants sont punis,
comme dans Les Aventures de Tintin 7 . »
    Pendant ce temps, au journal Tintin , c’est un peu la
panique. Car Hergé n’a pas eu le courage de prévenir personnellement Raymond Leblanc. C’est à Germaine qu’il
incombe d’avertir l’éditeur de l’absence de son auteur-vedette et de la prochaine interruption du Temple du
Soleil . Le 19 juin 1947, la rédaction annonce :
Notre ami Hergé a besoin de repos. Oh, ne vous inquiétez
pas, il se porte fort bien. Mais en refusant de ménager ses
forces pour vous retrouver chaque semaine au rendez-vousdu Temple du Soleil , notre ami s’est un peu surmené. Il