Herge fils de Tintin
nous
reviendra vite, Dieu merci. Il élabore d’ailleurs, dès à présent,
la suite des aventures passionnantes de Tintin et de ses valeureux compagnons. Nous profitons de ce court entracte pour
publier, comme nombre d’entre vous nous l’ont demandé,
quelques nouvelles aventures de Quick et Flupke. Nous
sommes certains, de cette manière, de vous faire plaisir !
Après quelques jours, Hergé profite de sa retraite pour
revenir sur le chemin parcouru. Le cap de la quarantaine
le marque beaucoup : jamais il ne s’est montré aussi
introspectif. Les lettres se font particulièrement longues et
fouillées. Pour Hergé comme pour sa femme, les échanges
semblent plus faciles par écrit. Lorsqu’elle parle, Germaine est souvent un peu confuse ; et puis, pressée de
donner son avis, elle ne cesse d’interrompre Georges.
Quant à lui, il est trop pudique pour parvenir à exprimer
de vive voix ce qu’il ressent. Maintenant qu’il a pris un
peu de recul, il se rend compte que le bilan est loin d’être
totalement négatif :
J’ai fait, je crois, le nombre de gaffes et d’erreurs que tout
homme à peu près normal doit commettre. Peut-être un peu
plus. Tant pis ! Tout cela n’est rien : j’ai été heureux ! […]
Ai-je été pour toi ce que tu as été pour moi ?
C’est là-dessus que j’ai beaucoup médité, et que je me suis
beaucoup interrogé. Et la réponse n’a pas toujours été affirmative, hélas.
Mon travail a été ta grande rivale, toi qui n’en as jamais eu
d’autre. Je t’ai négligée, abandonnée trop souvent, esclave
que j’étais de ce monstre aux mille têtes qu’est « le public » 8 .
Dès son retour, Hergé est bien décidé à rattraper les
choses et, d’abord, à prendre de vraies vacances avec
Germaine : au Coq peut-être, ou pourquoi pas plus loin,à Arcachon, Saint-Jean-de-Luz ou Biarritz. Il aimerait que
ce soit comme un second voyage de noces. À l’avenir, il
voudrait rendre leur existence plus harmonieuse. Mais il
se sent encore fragile, et continue d’avoir de brusques
crises de larmes qui plongent Germaine dans l’angoisse.
Après tant d’années de labeur presque ininterrompu,
pense-t-elle, il est temps pour Hergé de travailler à un
rythme plus humain, d’autant que la réussite matérielle est
cette fois bien réelle. Les droits que lui verse Casterman, à
la fin mars et à la fin septembre de chaque année, se sont
accrus de façon considérable. Inutile de vouloir beaucoup
les augmenter, dit Germaine, car « beaucoup d’argent est la
plupart du temps synonyme de beaucoup d’ennuis ». « Ne
crains rien, lui dit-elle, ta postérité est assurée. On parlera
de toi plus tard, crois-moi 9 . » Elle aimerait pouvoir en dire
autant en ce qui la concerne.
Quelques jours plus tard, dans une des lettres les plus
fortes qu’il écrira jamais, Hergé prolonge sa méditation
sur les années écoulées. Il veut bien reconnaître que la vie
l’a gâté :
Amour, bonheur, aisance et renommée, tout m’a été offert.
Mais la richesse ne m’intéresse plus, je le constate. C’est par
une sorte de sport, et par une ambition assez sceptique, que
je m’y intéresse de façon… désintéressée. Contrairement à ce
que j’attendais, le dernier relevé de comptes de Casterman
m’a laissé complètement froid. Et j’ai été déçu moi-même de
ce que cela ne me faisait pas bondir de joie. Ce que je
connais, ce que je pressens de la richesse, j’en suis, déjà !
blasé 10 .
La renommée ne vaut pas mieux, et ce qu’il en a goûté
l’a bien vite ennuyé :
Cela représente si peu de chose. Et, tout compte fait, le jeu
n’en vaut pas la chandelle. S’épuiser à être spirituel et amusant, moi qui ne suis ni l’un ni l’autre, pour le maigre plaisir
de s’entendre dire les mêmes choses (même les grandes personnes prennent, à lire vos histoires, un plaisir extrême ; qui
ne connaît Tintin et Milou, etc., etc., etc.), s’épuiser à cela,
ma chère petite femme, quand on a la chance extraordinaire,
le bonheur inouï d’avoir près de soi un être comme toi à
chérir, quel marché de dupes !
En plus de la fatigue qu’il éprouve, il a l’impression que
son travail l’écœure. Il doute de pouvoir s’y intéresser à
nouveau :
Je vois trop clairement les trucs, les ficelles, les dosages
d’humour et de mystère de mon métier, pour en être, de
nouveau, la victime et la proie.
J’ai quarante ans, déjà. Il faut nous
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