Herge fils de Tintin

abandonner
tout travail : dépression nerveuse. Et je ne sais encore
quand je pourrai m’y remettre 13 . »
    Sur le conseil de son ami Édouard Cnaepelinckx, il a
finalement décidé de prendre la route de la Suisse avec
Germaine : il est vrai que le pays, épargné par la guerre,n’est pas soumis aux restrictions alimentaires qui sévissent
encore en Belgique et en France. Le voyage leur paraît
magnifique. Le 22 juin 1947, Hergé et sa femme traversent le Luxembourg, puis l’Alsace où ils s’émerveillent
d’apercevoir « de vraies cigognes, dans de vrais nids,
juchées sur le toit de vraies églises ». Arrivés en Suisse, ils
prennent tout leur temps, passant par Bâle, Neuchâtel et
Lausanne.
    Ils comptent s’arrêter d’abord à Genève, où ils doivent
régler quelques affaires, puis poursuivre jusqu’à Lugano.
Mais ils découvrent sur leur chemin l’hôtel de la Plage à
Gland, sur les bords du lac Léman. Hergé s’enthousiasme
pour cet endroit, « le plus ravissant petit chalet de toute la
Suisse », qui va devenir l’un de ses lieux de séjour favoris.
Dans une lettre à Marcel Dehaye, il explique combien il
aime le jardin qui descend jusqu’au lac, la chambre
« d’une propreté toute helvétique dont la fenêtre donne
sur le lac », la cuisine « simple, abondante et variée », les
fromages, et plus encore les vins du pays. Pour la première
fois depuis longtemps, il est réellement détendu :
Le soleil luit, les oiseaux chantent, le lac miroite et je suis déjà
en slip : le paradis sur terre !
    Ah ! quel pays, mon vieux Marcel ! Tout y est organisé pour
rendre la vie plus facile et plus souriante. Les gens y sont
d’une telle gentillesse : leur voix a des inflexions si douces et
si chantantes. Les hommes sont forts et tout bronzés, les filles
admirables et les gosses charmants 14 .
    Avec Germaine, c’est comme une nouvelle lune de
miel, au moment où le couple s’apprête à fêter ses quinze
ans de mariage. Ce ne sont que baignades, promenades en
barque sur le lac, longues marches et repas bien arrosés.
    Hergé fait toutefois un détour par Genève, pour rendre
visite aux responsables de L’Écho illustré . C’est pour
apprendre que, là aussi, Bernard Thièry a fait des siennes.
Les dégâts paraissent moins importants qu’à Bruxelles et
à Paris, mais Hergé se réjouit de savoir que ce fâcheux
intermédiaire sera bientôt hors du circuit. Pour le reste, il
est ravi : « Cent fois par jour, je répète à Germaine que
tout est beau et que je suis heureux 15 . » Si Raymond
Leblanc ne réclamait pas la suite du Temple du Soleil de
manière aussi insistante, la situation serait parfaite.
    L’escapade est plus courte que Hergé ne le voudrait. Il
rentre à Bruxelles dès le 10 juillet et essaie de mettre un
peu d’ordre dans ses affaires. Heureusement, Marcel
Dehaye est d’une aide précieuse. Avec beaucoup de gentillesse, il se démène pour alléger la tâche de son patron et
ami, afin de lui permettre de se concentrer sur ses
planches. Car plus le temps passe, plus les lecteurs de
l’hebdomadaire sont nombreux à manifester leur désappointement. Le 24 juillet, introduisant un gag de Quick
et Flupke opportunément intitulé « Patience », la rédaction leur délivre un nouveau message : « Que nos amis se
réjouissent ! Très bientôt, ils retrouveront à cette place Le
Temple du Soleil . Les nouvelles et passionnantes aventures
de Tintin et de ses compagnons vont à nouveau les
émerveiller. »
    Le 14 août, la couverture peut l’annoncer en lettres
capitales : « Enfin, Tintin est revenu ». L’histoire reprend
au point exact où elle s’était interrompue, au beau milieu
d’une chute du capitaine et sans même un mot de résumé.
Mais les soucis reviennent immédiatement, avec les
insomnies : à peine Hergé s’est-il remis à travailler qu’il se
sent épuisé. Le 25 septembre, ayant pris un peu d’avance,il repart avec Germaine pour la Suisse. Après une étape à
Gland, ils rejoignent Brissago, et la pension Rivabella
qu’Édouard Cnaepelinckx lui a recommandée. Là aussi,
c’est « une chambre parfaite, bleue et blanche » ; elle
donne directement sur le lac Majeur. Sous leurs fenêtres
s’étale une végétation tropicale digne de la forêt vierge du Temple du Soleil . Hergé est du reste de si bonne humeur
qu’il agrémente sa lettre à Marcel Dehaye de plusieurs
petits croquis. Et il n’oublie pas non