Herge fils de Tintin
s’intitule « Dix terroristes condamnés à mort » et est paru dans Le Nouveau Journal daté
des 1 er -2 juillet 1944. Il semble que Van Melkebeke, qui n’écrivait
jamais de papiers de ce genre, ait été victime d’un concours de
circonstances.
10 Jacques Van Melkebeke, « Notes sur mon activité pendant
l’Occupation », 1945, inédit.
11 Pour plus de détails sur les activités de Jacques Van Melkebeke, je
renvoie au livre de Benoît Mouchart, À l’Ombre de la ligne claire ,
Vertige Graphic, 2002.
12 François Rivière, Edgar P. Jacobs ou les Entretiens du Bois des
Pauvres , Rennes, Les Éditions du Carabe, 2000, p. 52-53.
13 Propos d’Edgar Jacobs cités in Le Vif, spécial Hergé , 22 avril 1983.
14 Benoît Peeters, « Entretien avec Edgar P. Jacobs », in À suivre,
spécial Hergé , avril 1983, p. 64-65.
15 Ibid. , p. 64.
16 « Entretien avec Jacques Martin », in Hugues Dayez, Le Duel
Tintin - Spirou , Luc Pire, 1997, p. 55.
3
Le signal de la quarantaine
« Il y a des jours où toute la fatigue qui devrait être le
lot de Tintin s’abat sur moi 1 », confia un jour Hergé à un
interviewer. En ce printemps 1947, une fragilité, longtemps masquée par un travail incessant, remonte à la surface. Ce n’est pas que son humour, son goût de la vitesse,
son appétit de réussite l’aient brusquement abandonné,
c’est que tout cela ne suffit plus à le combler. Hergé aspire
à autre chose qu’il ne parvient pas à nommer.
Voilà vingt ans qu’il a la tête remplie des prochaines
planches à livrer, des nouveaux gags à inventer, et des
rebondissements qui permettront de tirer Tintin du mauvais pas où il l’a fourré. Vingt ans qu’il a le visage penché
sur sa table, douze heures par jour et souvent plus. Car
c’est laborieux la bande dessinée. Sans doute est-il peu de
pratiques où l’art et l’artisanat se confondent à ce point. Il
faut esquisser, crayonner, encrer, mettre en couleur.
Prendre la pose pour la moindre attitude, passer des
heures à rechercher un document, tracer des cadres,compter des mots pour qu’ils tiennent dans les phylactères, finir chaque planche sur un point d’interrogation,
faire tenir chaque album dans le cadre strict des soixante-deux pages. Et respecter une grammaire exigeante : celle
de la lisibilité. Il y a, dans ces histoires si longuement
peaufinées, comme un écho de la patience du miniaturiste. Mais il y a aussi, de la part d’Hergé, de donner à ces
récits toujours plus de vie, de densité, d’ambition.
Tout cela le fatigue de plus en plus, surtout maintenant
qu’il n’a plus de véritable interlocuteur pour le relancer.
Depuis le départ de Jacobs, Hergé se sent particulièrement seul. Il ne voit plus José De Launoit qui s’est installé
en province depuis son mariage et qui, lui dit-on, serait
devenu communiste. Il s’est brouillé avec Philippe Gérard
pour des raisons un peu obscures : après une vive dispute
sur la place Flagey, les deux hommes ne se sont jamais
revus ; il semblerait que l’ancien « Gargamac » ait fait fortune sous l’Occupation de manière assez douteuse :
« Comme quoi Dieu récompense les justes ! », commente
énigmatiquement Hergé dans une lettre à Paul Jamin.
D’autres sont en prison, comme De Becker, Poulet ou
Jamin lui-même : Hergé les aide chaque fois qu’il le peut,
sans parvenir à se défaire d’un sentiment de culpabilité.
Reste Marcel Dehaye, un autre rescapé du Soir « volé »,
qui depuis 1944 vient travailler tous les matins en tant
que secrétaire. Il est fidèle et amical, mais parfois agaçant
avec sa nostalgie de « Capelle-aux-Champs » ; et puis, il
ne comprend pas grand-chose à la bande dessinée.
Juste après le départ de Jacobs, Hergé a engagé un jeune
assistant, Guy Dessicy, qu’il connaît depuis 1936 et avec
lequel il s’entend très bien. Dessicy est parfait pour les travaux d’adaptation et de remise au format, mais il ne peut
remplacer l’auteur de Blake et Mortimer ni sur le plan graphique ni sur le plan humain. Dans l’immédiat, Hergé sedonne pourtant du mal pour le former. Il demande à
Jacques Van Melkebeke, excellent pédagogue, de lui
donner des cours de dessin. Et il lui expose en détail sa
conception du coloriage. « C’était une technique très
savante, avec des couches successives d’aquarelle qui permettaient de traiter de manière différente les avant-plans
et les
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