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Herge fils de Tintin

Herge fils de Tintin

Titel: Herge fils de Tintin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoit Peeters
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dynamique rédacteur en chef de Kuifje , la version flamande du journal. C’est lui qui introduit Willy
Vandersteen et Bob De Moor, lui qui regarde avec le plus
d’attention les planches des autres dessinateurs, lui également qui trouve pour l’hebdomadaire un slogan appelé à
devenir fameux : « le journal des jeunes de 7 à 77 ans ».
     
    Quand on lui montre des pages de bande dessinée,
Hergé ne se contente jamais d’une approbation de principe. Même avec les auteurs confirmés, il cherche à
imposer sa vision. Et il y réussit souvent car son autoritéreste immense. Il trouve ainsi le dessin de Willy Vandersteen « quelque peu vulgaire » et « d’une facture peu
soignée ». Malgré la notoriété dont Bob et Bobette bénéficient déjà, Vandersteen accepte de leur donner « une allure
plus nette » dans les épisodes destinés au journal Tintin 12 .
    Cette dureté est de mise avec tous, même un ami de
jeunesse comme Evany, qui supervise la maquette du
journal. Après être tombé sur un dessin publicitaire,
Hergé lui reproche en termes plus que vifs d’avoir bâclé le
travail :
Je suis navré de devoir te rappeler des choses aussi élémentaires, mais il y a là un manque d’amour-propre et de conscience professionnelle dont je reste stupéfait. Si c’est de cette
façon que tu travailles au journal, je ne m’étonne plus des
erreurs, des négligences et des oublis que je constate à chaque
numéro 13 .
    Et quand un aîné comme Pierre Ickx, qu’il admirait
autrefois, remet à l’hebdomadaire trois dessins que Hergé
juge bâclés, il ne mâche pas ses mots pour le lui dire :
« Une illustration pour Tintin mérite autant de soin que
n’importe quel dessin d’“art pur”. C’est une question de
probité, ne le pensez-vous pas ? Il ne faudrait pas que des
travaux imparfaits me fissent regretter de vous avoir introduit au journal 14 . » À bon entendeur, salut !
    Le seul des dessinateurs de Tintin dont Hergé se sent
réellement proche est Paul Cuvelier, un homme au moins
aussi tourmenté que lui. Il tente de le réconforter, de vive
voix ou par lettre, chaque fois qu’il le devine sur le point
de flancher. Souvent, on dirait qu’il se parle à lui-même :
Il me semble vous comprendre – mais comprend-on jamais
réellement un être ? – lorsque vous dites que ce que vous
faites actuellement ne vous satisfait pas. Je crois, en effet, que
ce n’est pas là que vous donnerez toute votre mesure. Mais,
quel que soit le genre auquel s’attaque un véritable artiste –
et vous êtes un authentique artiste – et aussi mineur que
paraisse ce genre, on y retrouve une patte. Et cette patte, vous
l’avez, incontestablement.
    D’autre part, quel est l’artiste qui se déclare satisfait de ce
qu’il vient de faire ? C’est cette insatisfaction perpétuelle qui
est féconde pour son œuvre. Mais pour lui, quels tourments,
quelle inquiétude, quels doutes 15  !
    Il y a entre les deux hommes une différence essentielle.
Quand Hergé critique la bande dessinée, il ne se situe
jamais sur un terrain formel : ce qu’il craint, c’est de ne
pouvoir faire entrer dans Les Aventures de Tintin ses préoccupations d’homme mûr. Le mépris de Paul Cuvelier
est beaucoup plus superficiel. Dans ses carnets intimes, il
note :
J’ai fait de la bande dessinée.
    J’en ai fait mon métier, plutôt par le hasard de ma rencontre
avec Hergé.
    J’en ai fait parce que je savais dessiner, parce que j’aimais dessiner, mais non par l’attrait qu’elle aurait pu d’elle-même
exercer sur moi.
    J’ai fait de la BD comme on pratique un gagne-pain.
    C’est essentiellement d’un point de vue esthétique que
la « BD » ne peut satisfaire Cuvelier :
Le dessin au trait de la bande dessinée se maintient à un
niveau par trop sommaire. La BD ne me permettra pas d’être
comblé dans mon plaisir de dessiner. Sa formule me gêne, les
ballons, les cadres, le dessin ramené au trait dur, noir surblanc, à l’encre de Chine, la couleur mise après coup sur un
autre papier, une autre valeur de trait, un format réduit 16 .
    Les deux hommes continueront à se revoir régulièrement, discutant des heures durant. Hergé soutiendra Paul
Cuvelier plus qu’aucun autre auteur du journal. Mais il ne
parviendra jamais à faire revenir le créateur de Corentin sur son dédain pour la bande dessinée.
    ----
    1  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 5 août 1949.
    2  Lettre

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