Herge fils de Tintin
! »
Le 27 octobre 1949, après douze semaines d’absence,
Tintin est de retour dans l’hebdomadaire qui porte son
nom ! Elle devait sembler pleine d’humour cette couverture qui montre un Hergé à la mine piteuse, menottes aux
poings, sommé par ses héros de reprendre son histoire.
« Fini de rire, mon garçon ! Au travail ! », lui lance
Dupont. « Et il s’agit de remplir ces pages, n’est-ce pas
fiston ! Et vite, mille sabords !… », insiste le capitaine.
Quel lecteur aurait pu imaginer à quel point tout cela
était vrai ?
Finie la longue escapade en Suisse, loin des tables à
dessin et des conseils de rédaction. Le retour est plutôt
rude et les dernières planches d’ Au pays de l’or noir , si
comiques qu’elles puissent être, ne naissent pas vraiment
dans la joie.
Entre Hergé et Raymond Leblanc, la situation reste
tendue. Il faut dire que le responsable du journal, désemparé par les absences annuelles d’Hergé et craignant qu’à
la longue elles ne fassent péricliter son affaire, vient à son
tour de faire une dépression. On comprend qu’il se sente
floué. Car cet auteur presque maudit qu’il a remis en selle,
ce Hergé dont le héros donne son titre à l’hebdomadaire
et est indispensable à son succès, il n’a pas cessé de lui faire
faux bond. Parfois, Leblanc rêve de créer un autre journal,
dont Hergé ne serait pas partie prenante. Mais bientôt, il
revient à l’évidence : aucun héros de bande dessinée
n’aurait le même impact que Tintin. Les deux hommessont donc condamnés à s’entendre ; et, d’ailleurs, ils
continuent à s’estimer.
Après les longues absences survenues depuis trois ans,
l’éditeur est en tout cas persuadé que l’hebdomadaire
repose « pour une trop large part sur les épaules
d’Hergé 8 ». Il voudrait persuader l’auteur des Aventures de
Tintin d’engager des collaborateurs supplémentaires et de
leur confier des responsabilités importantes. Mais ce dernier n’est pas d’accord : s’il souhaite déléguer de plus en
plus de tâches techniques et s’il cherche un dessinateur
réellement capable de le seconder, il ne veut en aucun cas
d’un fonctionnement industriel à la Disney.
De son côté, Hergé tient à faire savoir à Leblanc qu’il
n’est pas heureux de l’évolution de l’hebdomadaire.
Certes, d’un point de vue commercial, les résultats sont
très satisfaisants ; au moins en Belgique, car en France le
démarrage est moins facile, malgré les efforts de Georges
Dargaud. Mais c’est le contenu qui préoccupe Hergé : à
ses yeux, le journal est devenu si « ennuyeux » qu’il est au
bord de la « dégringolade » 9 . Après avoir délaissé son rôle
de directeur artistique, Hergé voudrait brusquement
retrouver l’ensemble de ses prérogatives. Maintenant qu’il
est de retour, il veut imposer son point de vue, comme si
toutes les décisions prises en son absence avaient été malvenues. Dans l’immédiat, il obtient de participer à un
conseil de rédaction hebdomadaire 10 .
Parmi les reproches dont Hergé accable Leblanc, beaucoup concernent en fait le rédacteur en chef choisi au pied
levé pour remplacer Jacques Van Melkebeke. Hergé n’apas de mots assez durs pour accabler André Fernez. À ses
yeux, c’est un « vieillard-né » doublé d’« un froid fonctionnaire », quand ce n’est pas tout bonnement « l’ennemi
public n o 1 du journal » 11 . Pour remédier à son action
néfaste et faire de Tintin « le meilleur illustré du monde »,
Hergé rêve de prendre concrètement la direction de l’hebdomadaire. Laissant à Leblanc les aspects administratifs et
commerciaux, il s’occuperait personnellement des choix
artistiques et d’abord du recrutement des nouveaux
auteurs.
Au début, la situation était simple. L’hebdomadaire
avait douze pages et quatre dessinateurs : Hergé, Jacobs,
Laudy et Cuvelier. Quand la pagination a augmenté, il a
fallu élargir le cercle et recruter d’autres collaborateurs.
Dès 1947, l’équipe s’est ouverte au Français Le Rallic :
Hergé ne l’apprécie qu’à moitié, mais ne s’est pas opposé
à son arrivée. L’année suivante, Raymond Leblanc a dû se
battre davantage pour faire engager Jacques Martin :
Hergé ne s’est pas privé de critiquer les premières planches
d’ Alix l’Intrépide que le jeune homme est venu présenter.
D’autres auteurs ont été amenés par Karel Van Milleghem, le
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