Herge fils de Tintin

l’auteur, février 2002.
    3  Témoignage de Jacqueline van den Branden à l’auteur, janvier 2002.
    4  Guy Tarjou, « Au temple de la bande dessinée… un entretien
avec Hergé », Le Ligueur , 30 janvier 1970, p. 3.
    5  Bruno Duval, « Entretien avec Hergé, Tintin fasciste ? », Gulliver ,
janvier 1973, p. 44.
    6   Ibid. , p. 45.
    7  Philippe Goddin a reconstitué minutieusement la genèse du
scénario de cet album dans Hergé et les Bigotudos , Casterman, coll.
« Bibliothèque de Moulinsart », 1990.
    8   Le Monde , 26 avril 1976.
    9  Lettre d’Hergé à Jean Toulat, 16 janvier 1975.
    10   Les Nouvelles littéraires , 13 mai 1976.
    11   Hebdo 76 , 14 avril 1976.
    12   Révolution , 23 avril 1976.
    13  « Tintin ou le picaresque aujourd’hui », Critique , n o  358, mars 1977.
Article repris in Michel Serres, Hergé mon ami , Moulinsart, 2000.

 
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    L’alpha et l’oméga
     
    Comme s’il avait une revanche à prendre, Hergé se
relance sur un nouveau thème, juste après avoir achevé Tintin et les Picaros . Une idée lui trotte dans la tête depuis
une longue escale à l’aéroport de Rome-Fiumicino, en
1973. Brusquement, l’endroit lui était apparu comme
une sorte de mandala, un univers en miniature 1 .
J’aimerais bien que le prochain Tintin se passe entièrement
dans un aéroport. L’aéroport est un centre géométrique où
peut arriver l’exotisme. Des Chinois, des Arabes ; pour
toutes sortes de raisons, les Turlurons peuvent repartir… On
peut faire quelque chose de très drôle avec cela. Mais maintenant, il me faut le motif. J’ai le lieu, le lieu géométrique où
tout peut se passer. […] C’est le lieu où tout arrive et d’où
tout part. Mais au départ, c’est quelque chose de très
concret : un tel arrive ici pour telles raisons et rencontre tel
autre, et ils réagissent de telle façon. Il ne faut pas que cela
paraisse arbitraire. Il faut que le lecteur y croie 2 .
    Le projet est séduisant et ravive l’imagination d’Hergé.
Plusieurs mois durant, il accumule les notes sur ce thème.
Il rêve d’une « histoire sans fil conducteur », où Tintin
serait « toujours sur le point de faire une chose héroïque »,
mais n’y parviendrait jamais : chaque fois, l’occasion qui
allait se présenter s’évanouirait, laissant le « héros sans
emploi ». Il aimerait composer une histoire de Tintin
encore plus radicale que Les Bijoux de la Castafiore , « un
album où il ne se passerait strictement rien », mais « qu’on
pourrait ouvrir à n’importe quelle page, lire jusqu’à la fin
et recommencer à la première page 3  ». Hypothèses audacieuses, mais bien difficiles à mettre en œuvre…
    Plus que jamais, les notes se multiplient. Hergé envisage
tous les personnages des précédentes Aventures de Tintin qui pourraient réintervenir dans cette histoire : Abdallah, le
roi Muskar de Syldavie poursuivi par des Bordures, les
frères Loiseau, le maharadjah de Gopal, le détective Bunji
Kuraki… Les projets d’intrigue sont abandonnés sitôt
qu’ils naissent, cédant la place à d’autres pistes tout aussi
éphémères. Puis les idées reviennent, elles se combinent et
se retournent avant d’être à nouveau délaissées. Lieu de
tous les croisements, l’aéroport est à cet égard une parfaite
métaphore de la situation d’Hergé. La multiplicité, qui
avait été créatrice, est devenue stérilisante. Avec l’innocence, ce qui s’est perdu, c’est un certain bonheur du récit.
    Après plusieurs mois d’efforts, il se rend compte que le
projet n’a pas avancé : l’aéroport était peut-être une fausse
bonne idée. En novembre 1977, Hergé avoue à Tchang,
à qui il continue d’adresser des lettres d’une grande sincérité, qu’il ne sait plus dans quelle direction se lancer :
En ce qui concerne mon propre travail, je suis bel et bien en
panne !
    J’ai toutes sortes d’idées éparses et de thèmes différents, mais
aucune de ces idées et aucun de ces thèmes ne me séduit au
point de lui donner une forme. Mais je ne me fais pas de
souci, car tout cela doit mûrir, et je sais qu’un jour la bonne
Idée jaillira toute seule et tout naturellement comme cela a
toujours été le cas jusqu’à présent : laissons faire le Tao…
    La vraie raison de ses difficultés n’est pourtant pas
circonstancielle :
Il faut bien dire que les préoccupations qui sont actuellement
les miennes (et celles