Herge fils de Tintin
qu’ils l’ontété jusqu’alors, elle considère comme une nouvelle trahison le fait de n’être définitivement plus Madame Hergé.
Cette fin des années soixante-dix est marquée par un
autre changement. Lorsqu’une thrombose a frappé Baudouin van den Branden, en 1974, Hergé a patienté plusieurs mois sans engager personne, espérant qu’il se
rétablisse : mais si l’intelligence de son ancien secrétaire est
restée intacte, il ne peut plus ni lire ni écrire. Comme pour
ne pas rompre cette complicité de plus de vingt ans, c’est à
la femme de Baudouin, Jacqueline, que Hergé demande de
venir travailler à ses côtés. Mais leur collaboration ne fonctionne pas comme il l’aurait voulu, alors que le courrier et
les tâches administratives ne font que croître.
Le remplaçant va venir d’une tout autre sphère. Il
s’appelle Alain Baran et est né en 1951. C’est le fils aîné
de sa vieille connaissance, Dominique de Wespin 10 . Après
avoir commencé des études de journalisme, Alain Baran aentamé une carrière de danseur en 1971 dans la troupe de
Maurice Béjart, « les Ballets du XX e siècle ». En 1977, il
abandonne la danse et cherche une nouvelle orientation.
Hergé l’invite à déjeuner dans l’un des meilleurs restaurants bruxellois, La Cravache d’Or , et lui propose de
devenir son secrétaire. « Alain Baran reconnaît son inexpérience, mais ne cache pas son enthousiasme à l’idée de
travailler aux côtés de ce créateur qu’il admire. Hergé est
séduit par la discrétion de ce jeune homme de vingt-six
ans qu’il a vu grandir, de loin en loin 11 … »
Selon France Ferrari, les débuts de Baran aux Studios se
passent assez mal. Rien n’a préparé Alain Baran à une
fonction beaucoup moins facile que l’auteur des Aventures
de Tintin ne le lui a laissé entendre. Alors que son nouveau
collaborateur est en vacances, Hergé découvre sur son
bureau une pile de courriers sans réponse. Très mécontent, il l’aurait sans doute mis à la porte, sans l’intervention de France Ferrari. « On ne devient pas secrétaire du
jour au lendemain 12 », dit-elle à son patron. Hergé en
convient. Pendant des mois, il va s’efforcer de former le
jeune homme : peu à peu, leur complicité se resserre.
La première mission importante de Baran est la préparation du cinquantième anniversaire de Tintin : c’est le
10 janvier 1929 que le personnage était né dans les pages
du Petit Vingtième . Casterman a l’intention de célébrer
l’événement avec faste ; la presse et les médias emboîtent
immédiatement le pas.
À Paris, une grande réception a lieu à l’hôtel
Carnavalet ; c’est un jeune dessinateur, Max Cabanes, quiréalise le carton d’invitation : dans un style de pseudo-gravure bien éloigné de la ligne claire, il montre la marquise de Sévigné accueillant Tintin et ses compagnons.
Pour l’éditeur, qui vient de lancer le mensuel À suivre ,
c’est une façon d’établir un pont entre les styles et les
générations. Après tout, ce n’est que justice : sans le succès
toujours grandissant des albums d’Hergé, une expérience
aussi risquée que le lancement de ce magazine aurait été
impensable 13 .
À Bruxelles, c’est dans les salons de l’hôtel Hilton
qu’une foule imposante est invitée. Presque tous les dessinateurs belges ont tenu à rendre hommage à l’auteur
des Aventures de Tintin . À chacun des invités, Hergé fait
remettre un joli album, intitulé Cinquante ans de travaux fort gais . Le jeu de mots est plutôt faible, mais ce
titre mensonger – ou secrètement ironique – correspond à l’image lisse et souriante qu’il souhaite désormais donner de lui. La méthode de travail, telle qu’il
l’expose à partir d’une planche supprimée de Tintin et
les Picaros , présente le style tardif comme une évidence,
comme si les tâches avaient toujours été réparties de
cette manière.
Cette année-là, Hergé est partout dans les médias, chez
Jacques Chancel comme chez Bernard Pivot, mais il ne
semble pas toujours à l’aise dans cet univers qui n’est pas
le sien. En revanche, il apprécie beaucoup la grande exposition Le Musée imaginaire de Tintin qu’ont préparée, au
palais des Beaux-Arts de Bruxelles, Pierre Sterckx et
Michel Baudson. L’univers de Tintin y est confronté avec
les éléments qui l’ont nourri et notamment un ensemble
de superbes pièces ethnologiques, venues du musée
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