Herge fils de Tintin
de
l’Afrique de Tervuren et du musée du Cinquantenaire. Lemythe se densifie encore avec le vol, à l’intérieur de l’exposition, d’une copie du fétiche arumbaya, même si le dessinateur est un peu désorienté par ce curieux prolongement de L’Oreille cassée que la réalité lui renvoie.
Pendant l’été 1979, Hergé se sent très fatigué. Il croit
d’abord à un simple surmenage, dû aux multiples obligations du cinquantième anniversaire de Tintin. Mais, en
septembre, les médecins diagnostiquent une grave
maladie du sang, dite ostéomyélofibrose : ses globules
blancs ne se renouvellent plus. Tous les quinze jours, il va
devoir subir une transfusion sanguine complète. « J’ai fait
le plein », dit-il lorsqu’il sort de l’hôpital.
Pour la première fois depuis vingt ans, il se remet à
noter ses rêves ; des rêves qui apparaissent comme une
préparation intérieure à la mort qui s’approche. Au début
du mois de mars 1980, il rêve ainsi qu’il se rend chez l’un
de ses médecins, accompagné par Fanny, mais aussi par
l’un de ses amis de jeunesse, José De Launoit, décédé
quelques années auparavant :
Je leur montre la maison du docteur, au sommet d’une colline, à gauche d’un bâtiment que je crois être un couvent. Il
y a, semble-t-il, une route, un chemin, une rue (?) qui y
conduit, mais José me dit qu’il faut prendre à droite. F[anny]
et moi, nous le suivons. Ce chemin est rocailleux et difficile.
Il est bordé de bâtiments vétustes et délabrés. À gauche, une
ferme (?) en ruine, dont seul subsiste un énorme bloc de
pierre, de forme parallélépipède, dont je me demande à quoi
il pourrait servir. […] Nous continuons l’escalade, de plus en
plus malaisée. […] Lorsque j’arrive au sommet, je me
retourne pour attendre F[anny]. Lorsqu’elle apparaît, du
bout du pied, je lui lance une motte de terre 14 …
Une nuit du mois de juin, il rêve à nouveau de José
De Launoit et lui demande « s’il s’habitue à son nouvel
état ».
Bien que qualifié de « très vague », un autre rêve est
tout aussi transparent. Hergé se trouve dans une barque
avec Fanny :
C’est la nuit. L’eau est toute noire et menaçante. Je porte un
scaphandre et je vais devoir plonger pour retrouver… quoi ?
un trésor ? quelque chose englouti au large. Mais plus nous
ramons, plus nous nous éloignons et, au contraire, des
espèces de pontons, tout noirs eux aussi, surgissent près de
nous 15 .
Dans un autre rêve, particulièrement touchant, Hergé
se revoit avec Germaine. Ils marchent dans la campagne
et arrivent devant un petit cours d’eau que Hergé franchit, demandant à Germaine de le suivre. Mais il se rend
compte qu’elle a pris un autre chemin, s’avançant sur une
langue de terre herbeuse qui ne peut la mener qu’en plein
milieu de la rivière, une rivière qui s’est dangereusement
élargie.
Je lui crie de faire demi-tour et de me rejoindre par l’autre
chemin. Mais je m’aperçois qu’elle s’enfonce dans la terre
marécageuse… Elle s’enfonce de plus en plus, sans paraître
trop s’en émouvoir. Je fais moi-même demi-tour pour aller à
son secours. Mais lorsque j’arrive à l’endroit où elle se trouvait, elle a totalement disparu 16 …
Le divorce, semble-t-il, n’a pas suffi à mettre fin à la
culpabilité d’Hergé. Il continue d’ailleurs à voir Germaine
régulièrement, sans oser lui avouer la gravité de son état.
Hergé vient de moins en moins aux Studios. Il observe
de manière distraite les médiocres projets publicitaires
que l’agent des Éditions du Lombard tente de lui imposer
en profitant de ses absences. Tintin est mis à toutes les
sauces, dénaturé dans l’esprit comme dans le graphisme.
Le professeur Tournesol soucieux de sa forme, que mettent en scène les spots des huiles Fruidor, n’a plus rien à
voir avec le personnage des albums. Si Hergé laisse de
telles campagnes se réaliser, lui qui a dessiné de si belles
publicités dans sa jeunesse, c’est parce qu’il est fatigué de
dire non et surtout parce qu’il veut donner du travail à ses
collaborateurs, dont le fidèle Bob De Moor.
Pour toutes les décisions quotidiennes, il s’appuie sur
Alain Baran dont il apprécie la jeunesse et le dynamisme.
Plus d’une fois, il lui dira que, s’il avait eu un fils, il aurait
voulu qu’il lui ressemble. Le terrain est favorable : Baran
n’a jamais connu son père et le peu de choses qu’il sait
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