Herge fils de Tintin

de Fanny) ne sont pas de celles qu’il est
facile de faire « passer » dans Tintin  ! En effet, nous sommes
tous les deux plongés dans les philosophies orientales, avec,
chez Fanny, une attirance spéciale pour l’hindouisme, et
pour moi, naturellement, un plus grand intérêt pour le
bouddhisme zen et pour le taoïsme 4 …
    Même s’il donne le sentiment d’avoir atteint une forme
de sérénité, le Hergé des dernières années est loin d’être
« aussi détendu qu’on pourrait le penser ». Il est de plus en
plus profond et méditatif, « avec une vision intérieure
plutôt pessimiste 5  ». Il reste en quête de quelque chose,
que la peinture n’a pu lui offrir, que Fanny elle-même ne
pourrait lui donner. C’est comme un besoin d’absolu qui
ne parvient pas à s’incarner.
    Comme l’expliquait Marcel Stal :
Georges avait une forme d’inquiétude, qu’il portait à un
degré étonnant. C’était sa forme intellectuelle à lui. Le faitque l’homme n’atteint jamais la perfection, ça l’attristait. Il
voulait plus, il cherchait autre chose. Il n’avait pas la vocation
du bonheur. Il n’a jamais su goûter à la vie comme un être
normal. Il y avait toujours un tracas, un fond d’insatisfaction
qui se mêlait à tout ce qu’il vivait. Et la gloire n’y a rien
changé 6 .
    On le devine : Hergé observe de façon de plus en plus
distante l’évolution du monde de la bande dessinée. Mais
ce qui est sûr, c’est que les rares auteurs qu’il apprécie vraiment publient ailleurs que dans Tintin . Celui qu’il préfère, c’est Fred, le créateur de Philémon , qu’il trouve
« merveilleux de poésie ». Il aime aussi Franquin, Giraud
et Claire Bretécher, s’intéresse à Hugo Pratt, qu’il ira rencontrer à Venise, et à Milo Manara, qu’il défendra lorsque
la publication de pages à l’érotisme très marqué dans la
nouvelle revue À suivre heurtera certains responsables de
Casterman 7 .
    Il n’aime guère les salons et les festivals et n’y vient que
lorsque son éditeur l’y encourage fortement. Désormais,
chacun de ses déplacements fait figure d’événement. Sa
venue à Angoulême comme président d’honneur, en
janvier 1977, est à cet égard hautement symbolique : Louis
Gérard, l’un des principaux artisans de ce voyage, espère
que le monde de la bande dessinée va se reconnaître en ce
père spirituel, un peu comme la chanson française, toutes
générations et tous styles confondus, se retrouve en
Charles Trenet.
    Le séjour se passe pour le mieux. Après l’accueil plus
que frais réservé à Tintin et les Picaros , Hergé est heureux
d’être salué chaleureusement par le public et par ses
confrères. Vêtu d’un costume strict et portant la cravate,comme à son habitude, il croise des auteurs des nouvelles
générations qui sont loin de lui être acquis, comme
Wolinski : « Ma fille a lu tous vos albums, elle vous aime
beaucoup », lui déclare le rédacteur en chef de Charlie-mensuel , avant d’ajouter qu’elle a trois ans. Hergé parvient
tout de même à séduire son interlocuteur, tout comme il
séduira Gotlib et Claire Bretécher 8 . Le journaliste Michel
Daubert se souvient parfaitement de cette visite : « Hergé
détestait les foules ; il était bien trop distingué pour s’y
sentir à l’aise. Mais, à Angoulême, il a été ému de la reconnaissance de la profession. Il savait qu’il était un monument en Belgique ; il en était peut-être un peu moins sûr
en France 9 . » L’échange est équilibré : le festival, qui n’en
est qu’à sa quatrième édition, tire de cette visite un important élément de légitimation.
     
    « Lorsque la nouvelle loi sur le divorce sera votée, j’en
serai le premier client », disait parfois Hergé à ses proches.
Ce n’est que le 28 mars 1977, dix-sept ans après son
départ du domicile conjugal, que le divorce est prononcé.
Quelques semaines plus tard, Georges peut enfin épouser
Fanny, en toute discrétion. Pierre-Paul, le fils aîné de
Dominique de Wespin, et Stéphane Janssen sont les
témoins de leur mariage : Hergé va avoir soixante-dix ans,
Fanny en a quarante-deux.
    Germaine supporte très mal l’officialisation de sa rupture avec Hergé. Même si l’auteur des Aventures de Tintin lui redit qu’il garde pour elle « amitié, affection et
reconnaissance » et que, sur le plan matériel, ses intérêts
seront « aussi scrupuleusement sauvegardés »