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Herge fils de Tintin

Herge fils de Tintin

Titel: Herge fils de Tintin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoit Peeters
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reconnaît :
Un objet extérieur quelconque, le vol d’un oiseau, la couleur
d’une auto, la marche d’un monsieur me frappent, me distraient. Je te coupe la parole […] mais, une fois enregistrés
dans ma mémoire le geste, la couleur, le mouvement, je
reviens à notre conversation 2 .
    Leurs liens ne cessent de se resserrer ; la situation
semble sur le point de s’officialiser. Ils vont à Paris en
mai 1931 avec les parents de Georges. Ils visitent la
grande Exposition coloniale, avant d’aller voir le Sacré-Cœur, l’Arc de triomphe et la tour Eiffel. Germaine est
séduite : toute sa vie, elle adorera Paris. Le mois suivant,
lors d’un pique-nique à Genval, Georges est présenté aux
parents de Germaine. Sur les photos, les attitudes se font
plus tendres et les sourires plus complices.
    Au mois de septembre, c’est pourtant avec ses chers
Philippe Gérard et José De Launoit que Hergé part en
vacances en Espagne. Sac au dos, ils traversent les Pyrénées, et atteignent bientôt Saragosse. Georges écrit à Germaine des lettres si longues et si fréquentes que ses deux
amis l’appellent « le feuilletoniste ». Avec un vrai talent
d’observation, et souvent dessins à l’appui, il lui décrit les
moindres épisodes de son voyage.
    À chaque instant, c’est comme s’il lui fallait se montrer
digne de Germaine et des valeurs qu’elle incarne à ses
yeux. Au lendemain d’une journée passée avec elle, à la
plage du Coq-sur-Mer, leur station favorite sur la côte
belge, il note dans son carnet : « Ma vie sans toi n’est
qu’un squelette. […] Tu la remplis de toi. Qu’ai-je au
fond ? Mon métier ? Ce n’est pas un but. Ce pourrait le
devenir. Non, […] je ne serai pas heureux avec mon
métier, je le sais. Je serai heureux avec toi 3 . »
    Il est assez difficile de faire coïncider les pages pour le
moins infantiles de Tintin au Congo avec les lettres que
Hergé adresse à Germaine au même moment. Certaines
sont de véritables professions de foi, emplies de gravité.
Seule une forme de naïveté permet de rapprocher les deux
registres :
Sciences, arts, politique, ce ne sont que des fausses routes si
elles portent en soi leur but. Car enfin, arriver… avoir l’ambition d’être un type extraordinaire en art, en sciences, en politique, comment ne pas voir la vanité – au sens de vain, inutile
– au point de vue vie réelle, au point de vue but de la vie.
    L’amour est pour lui l’essentiel, mais que Germaine ne
se méprenne pas, il ne s’agit pas « d’un fade romantisme »
ou des idées molles d’un « jeune alangui de salons ».
C’est un 1931 qui te parle, un type du siècle de l’auto, du
béton armé et de la TSF. Tu vois qu’on peut être trèsmoderne et avoir de l’amour des idées du temps des
cavernes !…
    Je m’étonne de trouver tout cela sous ma plume : c’est si loin
du Georges Remi d’il y a deux ans, d’il y a un an même.
    Je ne te le répéterai jamais assez : c’est toi, ma petite fille, c’est
toi qui m’as changé 4 .
    Heureusement, Germaine elle-même a changé. Finie
l’ironie. Désormais, elle envoie à Georges des lettres aussi
longues et aussi enflammées que les siennes. S’il faut
mesurer l’intensité de l’amour au nombre de pages écrites
par chacun, Hergé commence à avoir peur d’être battu. Et
pourtant, comme elle l’avouera dans ses vieux jours, Germaine ne désirait pas vraiment ce mariage. Mais Georges
en avait tellement envie. Et son cher abbé voyait cette
union d’un si bon œil 5 .
    Le dimanche 21 février 1932, la maison des parents
Kieckens, à Laeken, accueille la fête des fiançailles. Un
rappel militaire de deux semaines sépare une dernière fois
Germaine et Georges, en mai 1932. De sa caserne de
Beverloo, le « futur mari » écrit plus que jamais, sur son
beau papier à lettres « Hergé dessinateur ». Une dizaine de
pages chaque jour épuiseront rapidement sa réserve. C’est
comme une longue conversation presque ininterrompue.
C’est aussi une manière d’échapper à cette vulgarité qu’il
découvre chez la plupart des officiers et qui toute sa vie lui
fera horreur.
La vie qu’ils mènent, en commun, leur enlève toute délicatesse, tout vernis. Il suffit de les entendre parler femmes pour
être fixé à ce sujet. Ce n’est pas beau. […]
    Toute valeur morale semble donc perdue de ce côté. Je ne sais
comment il se fait que cela me blesse tellement : il y a dansces

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