Herge fils de Tintin

d’ailleurs ses
dessins dans une galerie, aux côtés de ceux d’autres humoristes belges. En plus des planches originales de Tintin et
de Quick et Flupke , il présente une série de jolis dessins à
la gouache 23 . Sa première interview, richement illustrée,
occupe trois pages dans le numéro de L’Effort de janvier 1930. Le dessinateur – décrit comme « un grand jiciste 24  blond, souriant, costume gris impeccable, souliersvernis » – n’a que vingt-deux ans, mais le journaliste est
persuadé qu’« un avenir très brillant couronnera son travail et son talent ». Davantage que l’auteur de bande dessinée, c’est le graphiste qui vient de redessiner le titre de L’Effort après celui du Vingtième Siècle , et plus encore le
créateur publicitaire, que l’on interroge ce jour-là. Hergé
évoque ses admirations : Léo Marfurt et Cassandre.
Quant à sa propre conception, elle est déjà on ne peut
plus claire :
J’essaie d’attirer l’attention sur une affiche par une tache
marquante, simple et très visible. Un dessin imprimé en noir
et blanc doit présenter beaucoup de blanc, beaucoup d’air.
Rien de surchargé ou d’accumulé. […] Surtout un grand
principe : la simplicité. À mon avis, c’est le meilleur moyen
de créer quelque chose de marquant. Quand il y a moyen,
j’essaie de tirer parti des lettres… Pour une campagne suivie,
je crée pour chaque maison un dessin type, telles les bûches
du « Campeur » qui réapparaissent sur chaque annonce et
donnent à toutes un air de famille 25 .
    Un autre article étonnant est celui que signe son ami
Philippe Gérard, sous le pseudonyme de « Gargouille VII », dans la revue de la troupe de Saint-Boniface. Quand on pense aux peu d’œuvres d’Hergé qui sont
alors parues, on ne peut qu’être frappé par la finesse de
l’analyse :
Les dessins de Hergé amusent les gosses, mais intéressent les
grands et les font réfléchir ; tout en étant simples, ils sont
loin d’avoir la fade puérilité des dessins qu’on donne en
pâture aux enfants dans la plupart des journaux qui leur sont
destinés. Le comique de ces dessins n’est pas produit par unassemblage de situations grotesques, mais est l’effet d’un
humour puissant et sûr, digne d’un humoriste de classe.
Hergé est un artiste et deviendra un grand artiste.
    Et le chroniqueur termine comme suit son éloge :
Un jour viendra où les reproductions de ses dessins se vendront à des prix astronomiques et où les heureux possesseurs
d’originaux seront attaqués par des individus qui, armés
d’engins meurtriers, tenteront de leur ravir leurs biens inestimables. Et lorsqu’en fermant les yeux je me porte en esprit
dans les temps futurs, je vois Hergé statufié, les traits marmoréens, le sourire figé. […]
    Je vois le collège échevinal d’Etterbeek décider en assemblée
extraordinaire de débaptiser la plus belle artère de la commune pour l’appeler « Avenue Hergé ».
    Je vois les villes de Belgique se disputer l’honneur de l’avoir
vu naître, les pays du monde entier de l’avoir accueilli.
    Je vois Hergé passer à la postérité, entrer dans l’Histoire et
dans la légende 26 .
    Toute ironie mise à part, ce n’était pas trop mal vu.
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    1  Evany, « Un questionnaire sur Hergé… », in Les Amis de Hergé ,
n o 2, décembre 1985, p. 18.
    2  Hergé s’en inspirera sans trop de vergogne pour une scène de Tintin en Amérique  ! L’influence d’Alain Saint-Ogan sur les premières Aventures de Tintin est manifeste, quoique assez rarement évoquée.
Thierry Groensteen l’a analysée en détail dans son article « Hergé
débiteur de Saint-Ogan », 9 e Art , n o  1, CNBDI, Angoulême, janvier 1996, p. 8-17.
    3  Lettre d’Hergé à Paul Jamin, 21 juillet 1946.
    4  Témoignage de Paul Jamin à l’auteur, 1988.
    5  René Micha, « Entretien avec Hergé », Le Petit Vingtième ,
15 décembre 1938.
    6  Extrait d’une lettre d’Hergé à Michel G., le 26 mars 1969 ; cité
par Philippe Goddin in Hergé, chronologie d’une œuvre , Moulinsart,
2000, tome I, p. 294.
    7  Pour les goûter réellement, il est essentiel de découvrir Les Exploits
de Quick et Flupke dans leur version originale. Une riche anthologie est
proposée dans le tome II des Archives Hergé , publié par Casterman en
1978.
    8  Pierre Sterckx a commenté de manière lumineuse l’importance
du dessin dans Les Exploits de Quick et Flupke . On