Herge fils de Tintin

sans exagération 9 .
    « J’accepte avec plaisir de travailler pour la maison
Casterman », répond aussitôt Hergé. « D’abord, parce
qu’il m’est très agréable de collaborer avec toi, en second
lieu parce que Casterman est une maison “à la page” – une
des rares ! – avec laquelle il y a moyen de faire du beau
travail. » Et le 11 avril 1932, il envoie à Charles Lesne le
croquis souhaité, « poussé un peu plus que tu ne l’avais
demandé ».
    Cette couverture n’est qu’une première étape.
Quelques jours plus tard, Lesne propose un rendez-vous
au café de l’Espérance, près de la gare du Midi. « Nous
déjeunerons ensemble et causerons de différents projets. »
Bientôt, Casterman propose de devenir l’imprimeur des
albums Tintin édités par Le Petit Vingtième . Hergé trouve
l’idée excellente. C’est une nouvelle étape dans la voie
d’une collaboration plus poussée.
    Le 20 juillet 1932, Georges et Germaine se marient
enfin, à l’église Saint-Roch de Laeken. Cela fait plus de
quatre ans qu’ils se connaissent. José De Launoit est le
témoin de Georges. Et bien sûr, c’est Norbert Wallez qui
célèbre la cérémonie. N’est-il pas l’artisan de ce mariage,
comme l’inspirateur de Tintin ? Quelle que soit l’affection de l’abbé pour ses deux protégés, il ne leur fait pas de
cadeau sur le plan professionnel. La nuit précédente,
Georges et Germaine l’ont passée au Vingtième Siècle ,
pour boucler différents travaux. Sur les photos du
mariage, ils paraissent tous les deux épuisés.
    Après un bref voyage de noces à Vianden, au grand-duché du Luxembourg, Georges, qui a vingt-cinq ans,
quitte le 34 de la rue de Theux et sa petite chambre à
l’œil-de-bœuf. Les jeunes mariés s’installent dans un
quartier relativement excentré, au premier étage d’un
immeuble encore en construction de la rue Knapen, à
Schaerbeek. Même si l’appartement est exigu, Hergé s’yest ménagé un petit bureau, car il compte travailler de
plus en plus chez lui.
    Le plaisir du dessin est avivé par la présence de sa jeune
femme. C’est l’une des dernières périodes où on le voit
pratiquer un dessin purement privé, juste pour le plaisir.
Il réalise de nombreux croquis et aquarelles de scènes quotidiennes – Germaine dort, lit, coud, cuisine, fait une
réussite, joue aux dominos, s’amuse avec le chat – ainsi
qu’une série de nus à la sanguine 10 . Après le mouvement,
ce qui est en train de s’inventer chez Hergé, c’est le trait.
Ce qui deviendra la fameuse « ligne claire » trouve notamment son origine dans ces séries de dessins libres des
années trente. La jolie femme, grand refoulé de l’univers
tintinesque, serait, par un remarquable paradoxe, ce qui
donne au dessin d’Hergé une sensualité jusqu’alors
inconnue.
    La légende hergéenne voudrait que le dessinateur n’ait
jamais su se servir d’un appareil photo. L’album de photos
du couple la réfute absolument. Il est empli d’innombrables portraits de Germaine, dans les attitudes les plus
diverses. Elle rit aux éclats, grimace, essaie des chapeaux,
saute à la corde, avec un plaisir évident à prendre la pose.
En regardant ces images, on l’imaginerait volontiers
jouant la comédie, rêve qu’elle caressa pendant plusieurs
années sans parvenir à le concrétiser.
    Pendant l’été 1933, Georges et Germaine partent en
vacances dans les Pyrénées avec José De Launoit et sa
jeune compagne Alice Devos. Ce sont de longues
marches, des repas improvisés, des nuits sous la tente.
Hergé aimera toujours « les monts escarpés, les nuagesaccrochés au flanc des montagnes, les sapins tordus et
déchiquetés, et les petits ruisseaux gazouillant 11  ». Germaine, elle, n’apprécie guère les pique-niques et le camping. L’expérience ne sera pas renouvelée.
    Malgré son mariage, Hergé garde un côté assez scout.
En décembre 1933, à vingt-six ans sonnés, il rejoint
encore ses amis des « Gargamacs » pour deux représentations d’une pièce de leur composition. Le dessinateur
retrouve avec plaisir l’abbé Helsen, l’ancien aumônier de
leur troupe. La dédicace qu’il lui écrit dans un exemplaire
de Tintin en Amérique est on ne peut plus révélatrice : « À
Monsieur l’abbé Helsen, en souvenir des bonnes années
passées sous sa direction, à la découverte de l’Aventure
dans la forêt de Soignes, les Alpes et les