Herge fils de Tintin

les
directions. Ces personnages n’avaient pas la liberté totale
dont dispose Tintin. […] Pensez au mot de Jules Renard :
« Tout le monde ne peut pas être orphelin ! » Quelle chance
ce Tintin, il est orphelin lui, donc libre 13 …
    Nulle fatalité pourtant dans cet échec : l’histoire de la
bande dessinée propose de nombreuses séries familiales
réussies, à commencer par ce Bringing up father de
McManus qu’admirait tant le jeune Hergé. Mais en ce qui
le concerne, rien à faire : famille et aventure sont incompatibles (ne parlons même pas de l’amour !). Tous les protagonistes des Aventures de Tintin  – à l’exception de Séraphin Lampion, le casse-pieds par excellence – seront des
célibataires. Et à y bien regarder, même dans Les Exploits
de Quick et Flupke , les liens familiaux sont réduits à leur
plus simple expression. Les pères sont quasi invisibles et
les mères des plus discrètes. Les deux gamins, qui n’appartiennent pas à la même famille, grandissent à peu près
seuls, en se protégeant comme ils peuvent d’un monde
adulte qui les ennuie.
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    1  Pour plus de détail sur la notion de « MacGuffin », on se
reportera au livre Hitchcock/Truffaut , édition définitive, Ramsay, 1983,
p. 111-113.
    2  Clément Rosset, Le Réel, traité de l’idiotie , Minuit, 1973.
    3  Michel Serres, Hergé mon ami , Moulinsart, 2000, p. 11.
    4  Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique (dernière version), in Œuvres III , Gallimard, coll. « Folio
essais », 2000, p. 279-280. Pour plus de détails, je me permets de
renvoyer à mon texte « De la planche originale à l’imprimé : allers-retours », in Tintin, patrimoine des imaginaires , IESA, 1992, p. 27-35.
    5  Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique (dernière version), in Œuvres III , Gallimard, coll. « Folio
essais », 2000, p. 280.
    6  Numa Sadoul, Tintin et moi, entretiens avec Hergé , édition
définitive, Casterman, 2000, p. 152.
    7  Hergé, « Tintin éléments ». J’ai transcrit et commenté ce carnet
dans le tome VI de la série L’Univers d’Hergé : Projets, croquis, histoires
interrompues , Rombaldi, 1988.
    8   Hitchcock/Truffaut , édition définitive, Ramsay, 1983, p. 109. Je
me permets aussi de renvoyer à mon livre Hitchcock, le travail du film ,
Les Impressions Nouvelles, 1992.
    9  Henri Roanne, entretien inédit avec Hergé, 1974. Beaucoup plus
tard, le suicide de Wolff, à la fin d’ On a marché sur la lune , sera la source
d’une autre intervention des bien-pensants. Hergé devra modifier le
billet laissé par l’ingénieur avant qu’il ne s’élance dans le vide pour
ménager la possibilité d’un « miracle » ( cf. Numa Sadoul, Tintin et moi,
entretiens avec Hergé , édition définitive, Casterman, 2000, p. 171). Ce
type d’ingérence renforcera peu à peu son anticléricalisme.
    10  Numa Sadoul, Tintin et moi, entretiens avec Hergé , édition
définitive, Casterman, 2000, p. 104.
    11  Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 24 janvier 1936.
    12  Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 22 février 1936. La moyenne est
simple à faire : c’est une planche par jour, scénario compris, que Hergé
doit réaliser à cette époque. On a souvent tendance à l’oublier : la ligne
claire n’a pas toujours été la ligne lente.
    13  Patrice Hamel et Benoît Peeters, « Entretien avec Hergé », Minuit 25 , septembre 1977, p. 6-7. Dans Tintin et le mythe du
Surenfant (Moulinsart, 2003), Jean-Marie Apostolidès a proposé une
remarquable lecture des Aventures de Jo et Zette , en les opposant à celles
de Tintin.

 
    3
     
    Fausse monnaie
     
    L’Europe est agitée en ce début des années trente. La
Belgique, et particulièrement le milieu dans lequel baigne
Hergé, n’échappe pas à la règle. L’extrême droite flamande
est farouchement nationaliste et favorable à l’éclatement
du pays. Du côté francophone, un jeune homme d’allure
dynamique commence à entraîner des foules nombreuses
et enthousiastes : le 2 novembre 1935, Léon Degrelle s’est
lancé dans une violente diatribe contre les « politiciens
pourris » et les « collusions politico-financières ». Il rompt
avec les catholiques, s’allie aux nationalistes flamands et
connaît un triomphe électoral aux élections du 24 mai
1936, obtenant 11,49 % des suffrages et 21 députés