Herge fils de Tintin
sur
les 202 que compte la Chambre. À Bruxelles, Rex rallie
même 18,5 % des électeurs, essentiellement au détriment
du parti catholique.
Le 3 mai 1936, Degrelle, déjà éditeur de plusieurs
magazines, crée son propre quotidien, Le Pays réel . Plusieurs journalistes quittent Le Vingtième Siècle pour ce
nouveau journal, où l’on paie mieux et où l’on semble
s’amuser plus. Tel est notamment le cas de Paul Jamin :
après avoir tenté de publier des deux côtés à la fois, il estsommé de choisir et quitte Le Petit Vingtième , devenant le
principal caricaturiste du mouvement. « Jam a plus fait
pour Rex que tous les discours de Degrelle réunis », déclarera Hergé en 1939 au journaliste de la Revue Saint-Boniface . Victor Meulenijzer rejoint lui aussi Le Pays réel .
Mais pas Hergé qui reste fidèle au Vingtième Siècle et à son
nouveau directeur, l’avocat William Ugeux.
Souvent, on a laissé entendre que Hergé était alors,
sinon rexiste, à tout le moins rexisant . Mais le dessinateur
s’en est toujours défendu avec force. Il affirme dans une
lettre de 1969 n’avoir « jamais “adhéré”, ni sentimentalement, ni de quelque autre manière, au rexisme 1 » qu’il a
« toujours eu en aversion ». Et dans une interview un peu
plus tardive, il se montre moins radical, mais néanmoins
très clair :
— Prendre fait et cause pour une idéologie est à l’opposé de
ce que je suis. J’ai vu Degrelle, et les masses qui hurlaient
avec enthousiasme. Qu’on ne vienne plus me parler d’idéologie et de grands meneurs de peuples.
— Vous avez bien connu Degrelle ?
— Passablement. Il venait souvent au journal pour faire de
la réclame pour Rex. Un homme ambitieux, mais par ailleurs
assez amusant. Ce n’est pas pour autant que j’étais rexiste. Je
n’aime pas ces grands mouvements populaires 2 .
Pourtant prompt à se mettre en avant, Degrelle lui-même note avec prudence : « Hergé regardait le spectacle,
amusé, riant de mes outrances 3 . » Mais le dessinateur s’en
agaçait aussi : le souvenir du long conflit de 1932, àpropos du projet d’affiche détourné par Degrelle, avait
laissé des traces. Selon le propre témoignage de Germaine,
Hergé lui aurait en tout cas interdit, en ce milieu des
années trente, d’aller écouter les meetings du « beau
Léon ».
La méfiance tenait peut-être aussi du flair, car la
flambée rexiste fut de courte durée. En 1937, Degrelle
provoque une élection partielle à Bruxelles, espérant se
faire plébisciter. Mais le Premier ministre Paul
Van Zeeland, soutenu par les trois partis du gouvernement d’Union nationale, se présente contre lui. Et deux
jours avant le scrutin, le cardinal Van Roey, primat de Belgique, décrit Léon Degrelle comme un « danger pour le
pays et l’Église » : non seulement, un vrai catholique ne
peut pas voter pour lui, mais il ne peut même pas s’abstenir. Rien de surprenant, donc, que Van Zeeland sorte
largement vainqueur du duel électoral, le 11 avril 1937.
Dès lors, Degrelle va se marginaliser, perdant bon nombre
de soutiens, y compris dans ses propres rangs. Après les
élections de 1939, il ne lui restera que quatre députés.
Le grand thème des Aventures de Tintin pendant les
années trente n’est pourtant pas si loin de certains arguments de campagne de Degrelle. À sa manière, Hergé
cherche lui aussi à démonter les faux-semblants, les collusions et les trafics. Des Cigares du Pharaon au Sceptre
d’Ottokar , il s’emploie à démasquer les impostures. Dans L’Oreille cassée , nourri comme à son habitude par la lecture du Crapouillot , il avait dénoncé cette guerre du Gran
Chaco qui, de 1932 à 1935, opposa la Bolivie et le Paraguay. Ce conflit meurtrier avait été attisé par deux compagnies pétrolières et, comme dans l’album, le gisement
visé s’était finalement avéré inexploitable. Hergé s’en était
également pris à l’un des marchands d’armes les plusredoutables et les plus respectés de l’époque, Sir Bazil
Zaharoff. La société d’armes Vickers était devenue la
« Vicking Arms Company, Ltd » et Zaharoff avait été
rebaptisé Mazaroff, mais ses traits et son habillement ressemblaient à ce point à l’original qu’aucune hésitation
n’était possible.
Les curiosités d’Hergé ne cessent de s’étendre. Après
s’être ouvert à la politique internationale, dans Le Lotus
bleu , il est parvenu à traiter
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