Herge fils de Tintin
il est fort possible que cela ne relève que de la
légende. Une chose est sûre : la mère de Georges aurait
préféré avoir une fille. Jusqu’à ses cinq ans, elle l’habille de
petites robes et laisse pousser ses cheveux jusqu’à ce qu’ils
forment de longues boucles, tombant sur ses épaules. On
ne naît pas impunément dans une famille liée au
vêtement : Georges est toujours tiré à quatre épingles. Et
sa mère, qui ne travaille plus depuis son mariage, lui
confectionnera, jusque très tard, la plupart de ses habits.
Il reste auprès d’elle jusqu’à ses six ans, ne fréquentant
pas le jardin d’enfants. Dès son plus jeune âge, Élizabeth
l’emmène chaque semaine au cinéma ; c’est sa distraction
favorite. Assis sur les genoux de sa mère, comme beaucoup de gosses du quartier, le petit Georges découvre les
féeries de Méliès, les films burlesques de Max Linder
Harold Lloy et Buster Keaton, les aventures du détective
Nick Carter et peut-être les superbes dessins animés de
l’Américain Winsor McCay.
Si Alexis Remi parle français avec sa femme et son fils,
Élizabeth discute généralement en marollien avec sapropre mère. Hergé se souvenait d’avoir entendu, tout au
long de son enfance, sa mère et sa grand-mère parler le
bruxellois. « Je ne l’ai moi-même jamais parlé, mais toutes
ces expressions sont restées gravées quelque part, dans un
petit coin de ma mémoire. […] Je crois que c’est une
chose qui m’a beaucoup marqué 8 . » Ce patois jouera un
rôle important dans Les Aventures de Tintin . La langue des
Syldaves et celle des Arumbayas en sont directement
issues, tout comme plusieurs noms propres 9 .
L’enfant adore dessiner, et c’est, dit-on, l’une des rares
choses qui le fait tenir tranquille. Lorsque ses parents
l’emmènent en visite, ils ne manquent jamais de prendre
un crayon et du papier. Le plus ancien dessin de Georges
Remi qui ait été conservé est révélateur à souhait. C’est
presque un emblème de l’œuvre future. Griffonné au dos
d’une carte postale, il représente le passage d’un train,
devant une voiture à l’arrêt, sous les yeux d’un garde-barrière. Une vraie scène à la Tintin , signe d’une fascination
pour les machines et la vitesse. Mais l’essentiel est
ailleurs : bien que l’enfant n’ait que quatre ans, les trois
éléments sont parfaitement reconnaissables. Déjà, le souci
de clarté semble primer sur tout le reste 10 .
En janvier 1912, les rapports avec les frères et sœurs
d’Élizabeth sont devenus désagréables. La famille Remi
quitte la rue de Theux et s’installe à quelques rues de là.
Deux mois plus tard naît un second enfant, Paul. PourGeorges, c’est certainement un choc : pendant presque
cinq ans, il a vécu la vie d’un enfant unique. Par la suite,
lorsque Paul fera preuve d’un tempérament encore plus
indiscipliné que son frère aîné, Élizabeth aura coutume de
lancer à son mari : « Tu voulais en avoir un deuxième. Eh
bien, tu l’as maintenant ! » Mais elle aura pour ce second
fils une indulgence particulière 11 . Quant à Paul et
Georges, ils ne seront jamais très proches. Les cinq ans qui
les séparent comptent beaucoup, et surtout ils ont « deux
caractères totalement différents 12 ».
Le 29 septembre 1913, Georges entre en première préparatoire à l’Athénée d’Ixelles, une école laïque, et
payante, qui jouit d’une excellente réputation. Ce choix
n’est pas anodin, car il existe plusieurs écoles plus proches
de la maison. Si catholicisme il y a dans la famille Remi,
il est donc tout relatif à ce moment : « Nous étions religieux, vaguement ; mon père allait à la messe de temps en
temps 13 . » Élizabeth, elle, ne porte que peu d’intérêt aux
questions religieuses.
Dans cette école, l’instituteur enseigne principalement
en français, mais il répète ses indications en flamand, pour
les enfants qui sont plus à l’aise dans cette langue 14 . Les
résultats de Georges Remi sont excellents, mais la fin de
l’année scolaire est assombrie par la mort de son grand-père, le 7 juin 1914.
Trois semaines plus tard, à Sarajevo, le prince héritier
d’Autriche-Hongrie et sa femme sont assassinés ; les
menaces de guerre se précisent. L’oncle Léon est mobilisé ; on ne le reverra plus avant la fin de la guerre. Le
4 août, les troupes allemandes pénètrent en Belgique,
violant la neutralité du pays. Des milliers de
Weitere Kostenlose Bücher