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comme ça… » Il n’a
pas fait face à deux Messerschmitt en train de canarder la base, armé de son
seul Colt (mais nul doute, selon le témoin, qu’il l’aurait fait, si les
Messerschmitt lui en avaient laissé le temps). Il n’a pas tenu tel propos
devant toute l’armée mais en privé, et d’ailleurs il n’a pas dit ça. Il n’a pas
appris au dernier moment qu’il allait être envoyé en France mais en avait été
informé plusieurs semaines à l’avance. Il n’a pas désobéi aux ordres lorsqu’il
a pris Palerme, mais l’a fait avec l’aval du haut commandement allié et de son
chef direct. Il n’a certainement pas dit à un général russe d’aller se faire
foutre, même s’il n’aimait pas les Russes, etc. Bref, le film parle d’un
personnage fictif dont la vie est fortement inspirée par la carrière de Patton,
mais qui manifestement n’est pas lui. Et pourtant, le film s’intitule Patton .
Et ça ne choque personne, tout le monde trouve ça normal, bidouiller la réalité
pour faire mousser un scénario, ou donner une cohérence à la trajectoire d’un
personnage dont le parcours réel comportait sans doute trop de cahots hasardeux
et pas assez lourdement signifiants. C’est à cause de ces gens-là, qui trichent
de toute éternité avec la vérité historique pour vendre leur soupe, qu’un vieux
camarade, rompu à tous les genres fictionnels et donc fatalement habitué à ces
procédés de falsification tranquille, peut s’étonner innocemment, et me
dire : « Ah bon, c’est pas inventé ? »
Non, ce n’est pas
inventé ! Quel intérêt, d’ailleurs, y aurait-il à « inventer »
du nazisme ?
41
Toute cette histoire, on l’aura
compris, me fascine, et en même temps je crois qu’elle me tape sur les nerfs.
Une nuit, j’ai fait un rêve.
J’étais un soldat allemand, vêtu de l’uniforme vert-de-gris de la Wehrmacht, et
j’assurais un tour de garde dans un paysage enneigé, non identifié mais
délimité par des barbelés que je devais longer. Ce décor s’inspirait clairement
de ceux des nombreux jeux vidéo qui prennent pour sujet la Seconde Guerre
mondiale et auxquels j’ai parfois la faiblesse de m’adonner : Call of
Duty , Medal of Honor , Rev Orchestra…
Soudain, pendant ma ronde,
j’étais surpris par Heydrich en personne, qui venait faire une inspection. Je
me mettais au garde-à-vous et je retenais mon souffle pendant qu’il tournait
autour de moi avec un air inquisiteur. J’étais terrorisé à l’idée qu’il puisse
trouver quelque chose à me reprocher. Mais je me suis réveillé avant de savoir.
Natacha, pour me taquiner, fait
souvent mine de s’inquiéter du nombre impressionnant d’ouvrages sur le nazisme
qui prolifèrent chez moi, et du risque de conversion idéologique qu’ils me
feraient, selon elle, encourir. Pour rire avec elle, je ne manque jamais de lui
mentionner les innombrables sites tendancieux – voire franchement
néo-nazis – que je suis amené à croiser sur Internet dans le cadre de mes
recherches. Il est bien entendu qu’à aucun moment, moi, fils d’une mère juive
et d’un père communiste, nourri aux valeurs républicaines de la
petite-bourgeoisie française la plus progressiste et imprégné par mes études
littéraires aussi bien de l’humanisme de Montaigne et de la philosophie des
Lumières que des grandes révoltes surréalistes et des pensées existentialistes,
je n’ai pu et ne pourrai être tenté de « sympathiser » avec quoi que
ce soit qui évoquerait le nazisme, de près ou de loin.
Mais force est de m’incliner,
une fois de plus, devant l’incommensurable et néfaste pouvoir de la
littérature. En effet, ce rêve prouve formellement que, par son indiscutable
dimension romanesque, Heydrich m’impressionne .
42
Anthony Eden, alors ministre
des Affaires étrangères britanniques, écoute avec stupéfaction. Le nouveau
président tchèque, Edvard Beneš, témoigne d’une confiance sidérante dans sa
capacité à résoudre la question des Sudètes. Non seulement il prétend pouvoir
contenir les velléités expansionnistes de l’Allemagne, mais, de plus, y
parvenir seul, c’est-à-dire sans l’aide de la France et la Grande-Bretagne.
Eden ne sait que penser de ce discours. « Sans doute pour être tchèque ces
jours-ci, faut-il être optimiste… » se dit-il. Nous sommes seulement en
1935.
43
En 1936, le commandant Moravec,
chef des services secrets tchécoslovaques, passe un
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