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toiser par la
statue de l’homme de fer rue Platnerska. Les lignes sur la carte pour l’instant
ne leur évoquent rien de plus que des noms qu’ils ont entendus enfants ou des
objectifs militaires. À les voir étudier la topographie du site qui doit
constituer le théâtre de leur mission, n’était l’uniforme, on pourrait croire à
des vacanciers qui apportent un soin méticuleux à la préparation de leur
voyage.
138
Heydrich reçoit une délégation
de bouseux tchèques, et l’accueil est glacial. Il écoute silencieusement leurs
promesses serviles de coopération, puis leur explique que les fermiers tchèques
sont des saboteurs : ils trichent sur l’inventaire du bétail et du grain.
Dans quel but ? C’est évident : alimenter le marché noir. Heydrich a
déjà commencé à exécuter des bouchers, grossistes, et autres tenanciers de bar,
mais pour lutter efficacement contre ce fléau qui contribue à affamer la population,
seul un contrôle parfaitement efficace de la production agricole peut obtenir
des résultats significatifs. En conséquence de quoi, Heydrich menace :
tous les fermiers qui ne rendront pas un compte exact de leur production se
verront confisquer leurs fermes. Les bouseux sont tétanisés. Ils savent que
même si Heydrich décidait d’écorcher vifs les contrevenants sur la place de la
Vieille Ville, personne ne viendrait les défendre. Se rendre complice du marché
noir, c’est être un affameur du peuple, et sur ce point le peuple soutient les
mesures d’Heydrich qui réussit donc un tour de force politique : faire
régner la terreur et appliquer une mesure populaire en même temps .
Une fois les bouseux partis,
Karl Hermann Frank, son secrétaire d’Etat, souhaite dresser séance tenante une
liste de fermes à confisquer. Mais Heydrich l’invite à tempérer ses
ardeurs : ne seront confisquées que les fermes des fermiers jugés
impropres à la germanisation.
C’est vrai, on n’est pas chez
les soviets, quand même !
139
La scène s’est peut-être passée
dans le bureau lambrissé d’Heydrich. Heydrich s’affaire dans ses dossiers. On
frappe à la porte. Un homme en uniforme entre, l’air affolé, un papier à la
main.
— Herr Obergruppenführer,
la nouvelle vient de tomber ! L’Allemagne déclare la guerre aux
Etats-Unis !
Heydrich ne cille pas. L’homme
lui tend la dépêche. Il la lit en silence.
Un long moment s’écoule.
— Quels sont vos ordres,
Herr Obergruppenführer ?
— Emmenez une brigade à la
gare et déboulonnez la statue de Wilson.
— …
— Demain matin, je ne veux
plus voir cette saloperie. Exécution, Major Pomme !
140
Le président Beneš sait qu’il
devra faire face à ses responsabilités et s’y prépare peut-être, quelle que
soit, si l’opération « Anthropoïde » réussit, l’ampleur des représailles
que déchaîneront à coup sûr les Allemands. Gouverner, c’est choisir, et la
décision est prise. Mais prendre une décision est une chose, l’assumer en est
une autre. Et Beneš, qui a fondé la Tchécoslovaquie avec Tomáš Masaryk en 1918
et qui, vingt ans plus tard, n’a pas su éviter le désastre de Munich, sait que
la pression de l’Histoire est énorme, et que le jugement de l’Histoire est le
plus terrible de tous. Tous ses efforts, désormais, visent à restaurer
l’intégrité du pays qu’il a créé. La libération de la Tchécoslovaquie,
malheureusement, n’est pas de son ressort. C’est la RAF et c’est l’Armée rouge
qui décideront du sort des armes. Certes, Beneš a pu fournir sept fois plus de
pilotes à la RAF que la France. Et le record d’avions abattus est détenu par
Josef František : l’as de l’aviation anglaise est un Tchèque. Beneš n’en
tire pas peu de fierté. Mais il sait aussi qu’en temps de guerre, le poids d’un
chef d’Etat ne se mesure qu’au nombre de ses divisions. En conséquence de quoi,
les activités du président Beneš se réduisent presque uniquement à une
diplomatie humiliante : il s’agit de donner des gages de bonne volonté aux
deux seules puissances qui résistent encore à l’ogre allemand, sans garantie
que ces puissances finiront par l’emporter. Il est vrai que face aux
bombardements de 1940, l’Angleterre a tenu le choc, et remporté, au moins
provisoirement, la bataille des airs. Il est vrai que l’Armée rouge, après
avoir reculé jusqu’à Moscou, a stoppé l’avance de l’envahisseur quand celui-ci
touchait au
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