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et vous plaisez aux filles. Vous flirtez avec
les petites Anglaises. Vous buvez le thé chez leurs parents qui vous trouvent
charmant. Vous continuez à vous entraîner en vue de la plus grande mission
qu’un pays ait jamais confiée à deux hommes seuls. Vous croyez en la justice,
et vous croyez en la vengeance. Vous êtes valeureux, volontaire et doué. Vous
êtes prêt à mourir pour votre pays. Vous devenez quelque chose qui grandit en
vous et progressivement commence déjà à vous dépasser, mais vous restez aussi
tellement vous-même. Vous êtes un homme simple. Vous êtes un homme.
Vous êtes Jozef Gabčík ou
Jan Kubiš, et vous allez entrer dans l’Histoire.
132
Chaque gouvernement en exil
réfugié à Londres possède, au sein de son armée reconstituée, sa propre équipe
de foot, et des matchs amicaux sont régulièrement organisés. Aujourd’hui, sur
le terrain, la France et la Tchécoslovaquie s’affrontent. Comme toujours, le
public, composé de soldats de toutes nationalités et de tous grades, est venu
nombreux. L’ambiance est joviale ; les encouragements fusent dans une
ambiance d’uniformes colorés. Au milieu de la foule vociférante, sur les
gradins, on peut apercevoir Gabčík et Kubiš, coiffés de leur calot marron,
qui discutent avec animation. Leurs lèvres bougent très vite et leurs mains
aussi. On devine une conversation technique et compliquée. Peu concentrés sur
la partie, ils s’interrompent cependant lorsqu’une action dangereuse fait
s’élever la clameur du stade. Ils suivent alors la phase de jeu jusqu’à son
terme, puis reprennent leur discussion avec le même entrain, au milieu des cris
et des chants.
La France ouvre le score. Le
camp français manifeste bruyamment sa satisfaction.
Peut-être leur attitude, qui
tranche avec celle des autres spectateurs tous profondément absorbés par le
match, se remarque-t-elle. En tout cas, parmi les soldats des forces libres
tchécoslovaques, on commence à jaser à propos de la mission spéciale qu’ils ont
acceptée. Cette opération qu’ils préparent dans le plus grand secret entoure
les deux hommes d’une sorte de prestige d’autant plus mystérieux qu’ils
refusent de répondre à aucune question, même émanant de leurs plus vieux camarades,
ceux de l’évacuation par la Pologne, ceux de la Légion française.
Gabčík et Kubiš discutent
à n’en pas douter de leur mission. Sur le terrain, la Tchécoslovaquie presse
pour revenir au score. Au point de pénalty, le numéro 10 récupère la
balle, arme sa frappe mais écrase son tir, repoussé par un défenseur français.
L’avant-centre, en embuscade, reprend du gauche et délivre une frappe sèche
sous la barre. Le gardien, battu, roule dans la poussière. La Tchécoslovaquie
égalise, le stade explose. Gabčík et Kubiš se sont tus. Ils sont vaguement
contents. Les deux équipes se séparent sur un match nul.
133
Le 19 novembre 1941, lors
d’une cérémonie organisée dans les ors de la cathédrale Saint-Guy, au cœur du
Hradčany, sur les hauteurs de Prague, le président Hácha remet
solennellement les sept clés de la Ville à son nouveau maître, Heydrich. La
pièce où sont entreposées ces grandes clés ouvragées est également celle où
l’on garde la couronne de saint Wenceslas, le joyau le plus précieux de la
nation tchèque. Il y a une photo où l’on voit Heydrich et Hácha debout devant
la couronne, posée sur un coussin finement brodé. On raconte qu’à cette
occasion, Heydrich n’a pas pu résister, il a mis la couronne sur sa tête. Or
une vieille légende raconte que quiconque coiffe la couronne indûment doit
mourir dans l’année, ainsi que son fils aîné.
En réalité, si l’on observe la
photo, on voit un Hácha qui, de son air de vieux hibou chauve, regarde
l’emblème royal avec méfiance, tandis qu’Heydrich, quant à lui, semble faire
montre d’un respect un peu contraint, et je le soupçonne de ne pas se sentir
littéralement transporté par ce qu’il pourrait très bien juger être de la
verroterie folklorique. En clair, je me demande si la cérémonie ne l’emmerde
pas passablement.
Il n’a jamais été attesté de
façon certaine, semble-t-il, qu’Heydrich ait bien coiffé la couronne en cette
occasion. Je pense que certains ont voulu croire à cet épisode pour en faire
rétrospectivement un acte d’ hubris qui ne pouvait pas rester impuni. En
fait, je ne crois pas qu’Heydrich se soit cru soudain dans
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