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but. L’Angleterre et l’URSS, après avoir chacune évité
l’effondrement de justesse, semblent aujourd’hui en mesure de contrer un Reich
invincible jusque-là. Mais nous sommes fin 1941. La Wehrmacht est quasiment au
faîte de sa puissance. Aucune défaite significative n’est encore venue remettre
en cause son apparente invincibilité. Stalingrad est encore très loin, loin,
très loin les images du soldat allemand vaincu les yeux baissés dans la neige.
Beneš ne peut que parier sur une issue incertaine. Bien sûr, l’entrée en guerre
des Etats-Unis représente un formidable espoir, mais les GI’s n’ont pas encore
traversé l’Atlantique, loin s’en faut, et le Japon les accapare assez pour
qu’ils négligent le sort d’un petit pays d’Europe centrale. Beneš fait donc son
propre pari pascalien : son dieu est un dieu à deux têtes, l’Angleterre et
l’URSS, et il parie sur leur survie. Mais plaire à ces deux têtes en même temps
n’est pas chose facile. L’Angleterre et l’URSS, bien sûr, sont alliées, et
Churchill, malgré son anticommunisme de naissance, fera preuve pendant toute la
guerre d’une loyauté indéfectible, d’un point de vue militaire, envers l’ours
soviétique. Pour l’après-guerre, si après-guerre il y a et si les Alliés la
gagnent, ce sera forcément une autre histoire.
Beneš tente un gros coup avec
« Anthropoïde » afin d’impressionner favorablement les deux géants
européens. Il a reçu l’aval et le soutien logistique de Londres, et c’est en
étroite collaboration avec Londres que l’opération a été montée. Mais il ne
faut pas froisser la susceptibilité des Russes, c’est pourquoi Beneš a décidé
d’informer Moscou du lancement d’« Anthropoïde ». Maintenant, la
pression est donc à son comble : Churchill et Staline attendent de voir.
Le futur de la Tchécoslovaquie est entre leurs mains ; il vaut mieux ne
pas les décevoir. Si c’est l’Armée rouge qui libère son pays, surtout, il veut
pouvoir se poser en interlocuteur crédible face à Staline, d’autant qu’il
redoute le poids des communistes tchèques.
Beneš pense probablement à tout
ça quand son secrétaire vient l’avertir :
— Monsieur le Président,
le colonel Moravec est là avec deux jeunes gens. Il dit qu’il a rendez-vous,
mais sa visite n’est pas mentionnée sur le planning d’aujourd’hui.
— Faites entrer.
Gabčík et Kubiš ont été
amenés en taxi sans savoir où on les conduisait, dans les rues de Londres, et
ils sont maintenant reçus par le président en personne. Sur le bureau de
celui-ci, la première chose qu’ils remarquent est une petite réplique de
Spitfire en étain. Ils saluent au garde-à-vous. Beneš voulait les rencontrer
avant leur départ. Mais il ne souhaitait pas qu’un document officiel garde la
trace de cette rencontre car gouverner, c’est aussi prendre des précautions.
Maintenant, les deux hommes sont en face de lui. Pendant qu’il leur parle de
l’importance historique de leur mission, il les observe. Il est frappé par leur
air juvénile – Kubiš surtout fait très jeune, même s’il n’a qu’un an
de moins que Gabčík – et par la touchante simplicité de leur
détermination. Soudain, pour quelques minutes, il oublie ses considérations
géopolitiques, il ne pense plus à l’Angleterre ni à l’URSS, ni à Munich, ni à
Masaryk, ni aux communistes, ni aux Allemands, et à peine à Heydrich. Il
s’absorbe complètement dans la contemplation de ces deux soldats, de ces deux
garçons dont il sait que, quelle que soit l’issue de leur mission, ils n’ont
pas une chance sur mille d’en sortir vivants.
Je ne connais pas les derniers
mots qu’il leur adresse. « Bonne chance », ou « Dieu vous
garde », ou « le monde libre compte sur vous », ou « vous
emportez avec vous l’honneur de la Tchécoslovaquie », ou quelque chose
comme ça, probablement. D’après Moravec, il a les larmes aux yeux lorsque
Gabčík et Kubiš quittent son bureau. Sans doute pressent-il le futur
terrible. Le petit Spitfire, impassible, garde le nez en l’air.
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Lina Heydrich, depuis qu’elle a
rejoint son mari à Prague, est aux anges. Elle écrit dans ses Mémoires :
« Je suis une princesse et je vis dans un pays de contes de fées. »
Pourquoi ?
D’abord parce que Prague, en
effet, est une ville de contes de fées. Ce n’est pas par hasard que Walt Disney
s’est inspiré de la
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