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un opéra wagnérien.
J’en veux pour preuve qu’il a rendu trois clés sur les sept à Hácha, en guise
de témoignage d’amitié, pour donner l’illusion que l’occupant allemand était
prêt à partager la direction du pays avec le gouvernement tchèque. Outre le
fait que, pour le coup, il s’agissait d’un geste symbolique absolument dépourvu
d’aucune réalité, le côté demi-mesure de cet échange de clés fait perdre à la
scène toute sa démesure potentielle. On est là dans la diplomatie la plus
protocolaire, c’est-à-dire la plus bas de gamme et dénuée de signification.
Heydrich doit avoir hâte que ça se termine pour rentrer jouer avec ses enfants
ou travailler à la Solution finale.
Et cependant… si l’on y regarde
de plus près, on voit la main droite d’Heydrich, sur la photo, partiellement
masquée par le coussin sur lequel est posée la couronne. Heydrich a ôté son
gant, sa main droite est nue tandis que la gauche est restée gantée. Cette main
droite s’avance vers quelque chose. Posé devant la couronne, dépassant à moitié
du coussin, sur la photo, un sceptre. Or, même si ce qui se joue ici est caché
par ce coussin, on croit deviner, il y a de fortes raisons de penser que la
main touche, ou va toucher, le sceptre. Et cet élément nouveau me fait
réinterpréter l’expression qu’arbore le visage d’Heydrich. On peut en fait y
voir tout aussi bien de la convoitise qui cherche à se dominer. Je pense qu’il
n’a pas mis la couronne sur la tête parce que nous ne sommes pas dans un film
de Charlie Chaplin, mais je suis sûr aussi qu’il a pris le sceptre, pour le
soupeser d’un air négligent : c’est évidemment moins démonstratif, mais
c’est quand même du concentré de symbole, et Heydrich, tout pragmatique qu’il
était, avait aussi un goût prononcé pour les attributs du pouvoir.
134
Jozef Gabčík et Jan Kubiš
trempent des biscuits dans le thé que leur a préparé leur logeuse, M me Ellison.
Tous les Anglais souhaitent participer, d’une façon ou d’une autre, à l’effort
de guerre. Aussi, lorsque l’on a proposé à M me Ellison
d’héberger ces deux garçons, a-t-elle accepté avec plaisir. D’autant plus
qu’ils sont charmants. Je ne sais pas où et comment il a appris, mais
Gabčík est pour ainsi dire fluent en anglais. Volubile et charmeur,
il fait la conversation, et M me Ellison est enchantée. Kubiš,
moins à l’aise avec la langue, est plus discret, mais il sourit de son air
débonnaire, et sa bonté naturelle n’échappe pas à leur hôte. « Vous
prendrez bien encore un peu de thé ? » Les deux hommes, assis côte à
côte sur le même canapé, acquiescent poliment. Ils ont de toute façon déjà
traversé suffisamment d’épreuves pour ne jamais laisser passer une occasion de
s’alimenter. Ils laissent fondre les petits gâteaux sous leur palais, j’imagine
des genres de speculos. Soudain, on sonne à la porte. M me Ellison
se lève, mais le bruit de la serrure la précède. Deux jeunes filles
apparaissent. « Come in, darlings , venez, que je vous
présente ! » Gabčík et Kubiš se lèvent à leur tour.
« Lorna, Edna, voici Djôseph and Yann, ils vont habiter ici quelque
temps. » Les deux jeunes filles s’avancent, souriantes. « Messieurs,
je vous présente mes deux grandes filles. » À ce moment précis, les deux
soldats doivent se dire que tout de même, il arrive parfois qu’il y ait un peu
de justice en ce bas monde.
135
« Ma mission consiste en
substance à être envoyé dans mon pays natal avec un autre membre de l’Armée
tchécoslovaque, afin de commettre un acte de sabotage ou de terrorisme en un
lieu et selon des modalités qui dépendront de ce que nous trouverons et des
circonstances données. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour obtenir le
résultat recherché, non seulement dans mon pays natal mais aussi en dehors. Je
mettrai tout en œuvre, en mon âme et conscience, pour pouvoir remplir cette
mission avec succès, pour laquelle je me suis porté volontaire. »
Le 1 er décembre
1941, Gabčík et Kubiš signent ce qui ressemble à un document type. Je me
demande s’il était valable pour tous les parachutistes de toutes les armées
basées en Grande-Bretagne.
136
Albert Speer, architecte
d’Hitler et ministre de l’Armement, devrait plaire à Heydrich. Raffiné,
élégant, séducteur, intelligent, il tranche avec le niveau culturel des autres
dignitaires. Ce
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