Histoire de croisades
massacrer, de conquérir et de soumettre. Louis IX disant sur son lit
de mort « Je connais d’excellents prédicateurs » est le parfait
emblème de cet idéal en pleine dissolution.
Aux antipodes d’une figure comme celle de Saint Louis, nous
trouvons celle de Richard Cœur de Lion. Richard est une figure plus populaire
que Saint Louis ; c’est en partie la faute de Walter Scott et de la saga
de Robin des Bois, que l’on retrouve jusque dans les dessins animés de Walt
Disney, avec l’opposition manichéenne entre le bon roi Richard et le méchant
roi Jean. Richard est un héros, un Cœur de Lion, comme le veut son sobriquet, tandis
que son frère Jean sans Terre est un lâche malfaisant. Mais la notoriété
internationale de Richard, qui incita Walter Scott à en faire le héros de
certains de ses romans, tient au rôle qu’il joua dans les croisades, bien avant
Louis IX : nous sommes au temps de la troisième croisade, l’une des plus importantes
et des plus acharnées, vers 1190. Richard Cœur de Lion part pour la croisade au
moment où le sort du royaume de Jérusalem est le moins assuré : Saladin a
anéanti l’armée des croisés à la bataille de Hattîn, capturé le roi Guy de
Lusignan et reconquis Jérusalem. Il ne reste plus que des lambeaux de royaume à
défendre, et en Occident le pape Clément III proclame la croisade pour reconquérir
la Ville sainte.
Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, répond à l’appel, à
l’instar de beaucoup d’autres souverains, comme le roi de France Philippe
Auguste ou le vieil empereur Frédéric Barberousse, qui mourra au cours du
voyage. Un siècle s’est écoulé depuis la première croisade, et pendant ce temps
les monarchies chrétiennes se sont renforcées, sont redevenues capables de
prendre en main l’organisation d’une telle entreprise. Mais Richard est le seul
à pouvoir tenir tête à Saladin sur le terrain des armes, le seul à l’avoir
combattu victorieusement. Il assiège les villes et les soumet, répand la
terreur parmi les musulmans, se montre aux yeux de tous à la tête de ses chevaliers,
faisant des moulinets avec son épée, à la différence de Saint Louis, qui se
laissait emporter par l’enthousiasme mais, en réalité, combattit fort peu car
il fut tout de suite vaincu. Richard Cœur de Lion vole de victoire en victoire,
constamment entouré de ses chevaliers, l’épée au poing, l’armure ruisselante de
sang ; tous le regardent et pensent : voilà un vrai homme et un vrai
roi, un lion, un Cœur de Lion.
Tout cela est vrai : Richard était un grand guerrier
avant de partir pour la croisade, et il le resta après son retour. Ce fut l’un
des rois d’Angleterre les plus belliqueux. Des ennemis, il en trouvait toujours :
des vassaux rivaux à soumettre, son frère Jean, le roi de France, le duc d’Autriche ;
il passa sa vie à faire la guerre et fut tué d’un coup d’arbalète au cours d’un
siège. C’était un combattant acharné, qui n’hésitait pas à massacrer lui-même
ses ennemis et fit pendre ou noyer des prisonniers par dizaines ou par
centaines – et quand il s’agissait de musulmans en Terre sainte, la
satisfaction n’en était que plus grande. Il était haï par son peuple, d’abord
parce qu’il était français, quoi qu’en ait dit Walter Scott dans son roman Ivanhoé : à l’époque, les rois d’Angleterre, pour des raisons
dynastiques, étaient des princes français, parlaient français, et possédaient
en France des terres dont la surface équivalait à toute l’Angleterre, si bien
qu’ils y passaient le plus clair de leur temps. Il était en outre haï par son
peuple parce qu’il prélevait de très lourds impôts ; car, contrairement à
la légende, ce n’est pas le roi Jean, mais le roi Richard, qui augmentait les
impôts pour financer ses guerres. Il était connu pour être un souverain cruel, féroce
et tyrannique, mais c’était un grand guerrier et cela plaisait aux gens, surtout
s’ils n’avaient pas le malheur d’être ses sujets. Plus d’un dut être soulagé
lorsqu’il quitta l’Europe pour s’en aller combattre les infidèles.
Sitôt parti, il se transforme en héros. Car les croisades
servent aussi à cela. Quand nous lisons les appels à la guerre sainte lancés
par Urbain II et par ses successeurs, ou les traités insistant sur l’obligation
faite aux rois, aux princes et aux chevaliers d’aller libérer le Saint-Sépulcre,
c’est cela que les
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