Histoire De France 1618-1661 Volume 14
que, madame de Vendôme priant pour son mari, il lui dit: «Si vous n'étiez femme, je vous mettrais à la Bastille.»
De toutes les personnes persécutées, la plus suspecte au roi, c'était la reine. Des trois ministres, Dunoyer, Mazarin, Chavigny, le premier se crut fort par les prédilections dévotes du roi pour sa dévotion; il commença à travailler sourdement pour la reine. Il comptait arriver par elle à l'archevêché de Paris. Cela le perdit près du roi, qui le traita si mal, qu'il lui fallut demander sa retraite.
Mazarin, Chavigny, ne se maintinrent qu'en paraissant très-contraires à la reine. Monsieur, flétri naguère, déclaré incapable de toute charge et mal voulu du roi, n'eût pu songer à la régence.
Ils dirent au roi habilement que, si on la faisait régente,il fallait la lier et la subordonner, lui mettre sur la tête un conseil souverain, et non destituable : Monsieur, Condé, Mazarin, et le père et le fils, Bouthilier, Chavigny. Tout se déciderait à la pluralité des voix. Le tout, ordonné par le roi, formulé en déclaration, enregistré au Parlement.
Mais, en même temps, Mazarin faisait dire à la reine, par le nonce Grimaldi, que cette ordonnance, si sévère pour elle, en réalité la sauvait, lui assurait le point essentiel: que son mari mourant ne l'écartât pas de la régence , parût l'en juger digne. Avec cela, elle allait être maîtresse et ferait ce qu'elle voudrait.
Le flot montait si fort pour elle, que le roi, vers la fin, n'eut plus la force de soutenir la digue. Les prisonniers sortirent, les exilés revinrent, toute la vieille cabale à la file. On fit scrupule au mourant de persister jusqu'à la fin.
Tout d'ailleurs le fuyait, lui échappait. Enghien, à qui il venait de donner la grande armée du Nord, s'offre secrètement à la reine. À Saint-Germain et à Paris, on travaille pour elle les gardes suisses et les gardes françaises. On lui offre d'occuper le Palais avant même que le roi expire, de crainte que Monsieur n'y soit le premier. Quand le roi enfin meurt (14 mai 1643), le château où il meurt est déjà à la reine, et le Parlement, et la ville. Le roi femelle occupe tout. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XVII
LOUIS XIV—ENGHIEN—BATAILLE DE ROCROY
1643
La régente espagnole ouvre son règne de quinze ans par un chemin de fleurs. Ce peuple singulier, qui parle tant de loi salique, est tout heureux de tomber en quenouille. Sans qu'on sache pourquoi ni comment cette étrangère est adorée.
Elle est femme et elle a souffert. Les cœurs sont attendris d'avance. Elle est faible. Chacun espère en profiter. Ce sera un règne galant. Mais où sera la préférence? Cette loterie d'amour autorise l'infini des rêves. Quel qu'il soit, le nouveau Concini ira plus loin que l'autre avec une Espagnole fort mûre qui va tourner à la dévotion, aux scrupules, à la fixité desattachements légitimes. Que sera-ce si elle finit par devenir fidèle, pour la ruine de la France?
En attendant, tout tourne à son profit. Les favoris du dernier règne, les Condés, gagnent une bataille à point pour elle, et font à Rocroy la brillante préface du règne emphatique de Louis XIV [17] . C'est l'enfant qui en a la gloire, c'est la sage régente. Heureuse reine qui gagne des batailles en berçant son fils?
Le jeune duc d'Enghien, nous l'avons vu, assez mal vers la fin avec Richelieu, avait, par sa dévotion, gagné le cœur de Louis XIII, celui du grand commis Dunoyer, si avant dans le parti dévot, qui, seul avec le roi, faisait le travail de la guerre. On avait tout l'hiver arrangé ce travail de manière à préparer une campagne au duc d'Enghien. Il en fut justement comme en 1638, où l'on avait grandi la Meilleraye à l'armée du Nord, en immolant Feuquières à l'armée de Lorraine. De même, cette fois, on mit toutes lesforces à l'armée royale que menait Enghien. Aucun renfort à l'armée d'Allemagne, où Rantzau, Guébriant venaient de gagner des batailles, de sauver les Suédois, de résister aux efforts combinés des impériaux et Bavarois. La fameuse armée de Weimar, achetée par nous et si bien menée par Guébriant, s'usa, tomba à six mille hommes qui se maintinrent à grand'peine en Alsace.
Enghien eut seize mille fantassins, sept mille chevaux, surtout des mentors admirables, vieux soldats de Gustave-Adolphe. Le succès était vraisemblable. Il était nécessaire. C'était réellement la seule forte armée de la France, la seule qui la
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