Histoire De France 1618-1661 Volume 14
couvrît de l'ennemi.
La France, qu'on dit si incrédule, si sceptique et si positive, a pourtant toujours besoin d'un miracle, du miracle humain, le héros. Il lui faut adorer quelqu'un ou quelque chose qui lui semble au-dessus de l'homme. Nous avons déjà, pour François de Guise à Metz et à Calais, observé la fabrique, les recettes pour faire des héros. Quand ce royaume énorme, qui s'est fait de douze royaumes, centralise sa force pour un général favori, il ne peut guère manquer de frapper un grand coup. Le miracle se fait.
Un héros est tombé du ciel. Le peuple est à genoux.
Si un malencontreux critique cherche les cordes et les machines qui, par derrière, ont aidé au miracle, c'est un envieux, un dénigreur; on lui en sait très-mauvais gré.
Lisez le grand Bossuet, lisez l'historien de famille, l'homme d'affaires des Condé, Lenet, vous verrez qu'Enghien seul nous fit la victoire de Rocroy. Lenetcraint tellement que ses lieutenants y aient la moindre part, qu'il les note en passant de stigmates fâcheux. Il voudrait flétrir même la probité de Gassion.
Nous avons ailleurs heureusement des sources plus sûres, des détails plus exacts, plus dignes de l'histoire.
Les Espagnols, sachant le roi à l'extrémité, crurent que le moment était bon, laissèrent là la Hollande, et, ramassant toutes leurs forces sous deux excellents généraux, D. Francisco de Mello et le vieux comte de Fontaine, firent mine d'entrer en Picardie, mais tournèrent, percèrent les Ardennes, enveloppèrent Rocroy.
Le roi et Dunoyer, qui devaient mêler à tout leur médiocrité, avaient eu soin, en lançant le duc d'Enghien, de le paralyser. Ils lui avaient adjoint un sage général (frère de Vitry, qui tua l'Ancre), camarade fort aimé du roi qu'il voulut faire maréchal avant sa mort, Hallier ou L'Hospital. Son sage conseil était qu'on s'affaiblît en mettant des secours dans cette méchante petite place, qu'on jetât là des gens pour les faire prendre, et qu'on évitât la bataille. On eût été ensuite poussé à reculons par l'Espagnol, qui, avançant toujours, ayant sur nous l'avantage de l'offensive, nous eût de proche en proche découragés, déconcertés, battus.
Un conseil fut tenu, et heureusement les maréchaux de camp qui avaient fait les guerres d'Allemagne et vu Gustave-Adolphe, le très-avisé Gassion, le ferme et fort Sirot, dirent qu'il fallait combattre.
Un mot de ces deux hommes. Lorsque le grandGustave débarqua en Allemagne, le premier homme qu'il vit au rivage fut ce petit gascon, Gassion, qui venait se donner à lui. Il fut le plus ardent de tous les amoureux de ce géant qui ravissait les cœurs et les grandissait à sa taille.
Il plut fort à Gustave. «Va-t'en à Paris, lui dit-il, achète-moi des Français.» Gassion en ramena une centaine qui firent bonne figure au sublime moment de Leipzig.
Quant au Bourguignon Sirot, un peu vantard, quoique si brave, il contait volontiers qu'il avait fait le coup de pistolet avec trois rois, et même avec celui que personne n'osait regarder. Il avait mis, disait-il, une balle dans le chapeau de Gustave, ramassé ce chapeau que Gustave laissa derrière lui.
Richelieu, qui connaissait les hommes, prit à lui ces deux-ci, et en même temps un brave ivrogne allemand, le célèbre Rantzau, qui se ménageait peu et laissait un membre à chaque bataille.
Pour revenir, ces hommes d'expérience, et qui ne s'étonnaient de rien, comprirent que cette armée, comme ordinairement celles d'Espagne, n'était pas espagnole, sauf quelques milliers d'hommes, un petit bataillon. C'était un mélange italien, allemand, wallon, flamand. Ils insistèrent pour la bataille. Et le duc d'Enghien se mit avec eux. Un nouveau règne commençait, celui de la reine, point du tout amie des Condés. Il y avait à parier qu'on ne donnerait plus à celui-ci une occasion pareille. L'Hospital se trouva tout seul de son avis. Le roi, son protecteur, étant mort, son autorité n'était pas forte. Le maréchald'hier eût eu mauvaise grâce de s'obstiner contre des gens qui avaient tant vu et tant fait.
Le roi avait laissé carte blanche à L'Hospital et au conseil du prince. Mourant, il avait eu, dit-on, pressentiment de la bataille. Il crut la voir. Il dit agonisant: «Ils sont aux mains. Enghien les bat... Apportez-moi mes pistolets.»
Il meurt le 14 mai. La bataille a lieu le 19.
Les Espagnols étaient fort tranquilles autour de Rocroy, leurs corps dispersés, et bien loin de
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