Histoire De France 1715-1723 Volume 17
ni chez l'animal. Il tient fort du satyre, mais (tout au contraire du satyre) sa peau tannée est en-dessous riche d'un sang très-pur, implacablement virginal (j'entends, des vierges de Tauride). Nulle amitié. Nul amour. Buveur d'eau. Un seul sens, le péril, le meurtre.
Le portrait nous le donne à l'âge où il meurt (36 ans), tel qu'il était alors, dans la fortune la plus désespérée, avec une redoutable hilarité qui fait trembler. Il en était au point de ne plus choisir les moyens. Son ministre, Gœrtz, un homme à tout oser, forçait de prendre sa monnaie de cuivre pour deux cents fois ce qu'elle valait! Il escroquait ce qu'il pouvait aux Jacobites pour acheter des vaisseaux (il en acheta six en Bretagne). Il avait, pour son maître, accepté le patronage d'une compagnie de flibustiers. Il les entretenait et les gardait tout prêts. Troupe d'aventureux scélérats, une élite d'audace et de crimes.
Charles XII avait reçu des arrhes d'Alberoni, un million, somme énorme pour sa misère. Le czar, qui déjà négociait avec les Suédois (mai 1718), l'eût au moins laissé faire, y trouvant tellement son compte. L'Espagne n'avait qu'à croiser les bras, et solder Charles XII, qui, sans nul doute, aurait passé.
Tel aussi fut le plan d'Alberoni. Il ne varia pas là-dessus. Il soutint que l'affaire d'Angleterre devait précéder tout, qu'on ne pouvait agir en Italie, en France, qu'à la faveur de ce grand coup de foudre. J'en crois là-dessus Alberoni lui-même plus que Torcy (que copie Saint-Simon).
Qui empêcha? uniquement la sottise de la cour d'Espagne qui n'écouta pas son ministre, l'impatience de la reine italienne qui le força d'agir en Italie.
C'est l'intérieur de cette cour, l'obscure chambre du roi et de la reine, qui seuls en ce moment illuminent l'histoire. Saint-Simon, dans son ambassade, put voir de près, ayant été reçu par eux avec confiance, et presque familiarité. Favorisé, comblé, admis à tout, il put voir, entendre beaucoup. Devant lui, ils causaient de sujets un peu étonnants dans une cour si dévote, de prélats scandaleux, de leurs mœurs à la Henri III. Alberoni en apprend davantage. À son passage en France, il dit au chevalier de Marcien que Philippe V, dans sa vie sensuelle et sombre (celle au reste des nobles, Espagnols, Italiens du temps), usait largement des licences conjugales autorisées des casuistes.
Ces docteurs, dont les livres sont le parfait miroir de la vie du Midi, furent forcés de bonne heure de mollir là-dessus. En présence des monstrueux scandales qu'affichaient tant de princes et de princes d'église, avec leurs petits favoris, leurs pages ou enfants de chapelle, ils accordent infiniment aux libertés intimes du mariage. Dès lors rien ne paraît. Tout retombe sur la discrète épouse. Elle n'a pas à s'inquiéter. C'est sainteté à elle de pécher par obéissance. De Navarro à Liguori, en deux siècles, on la plie, muette, aveugle, à toute chose. En la femme, et la femme unique, s'épuise l'infini du caprice. Les cent maîtresses du Régent, les trois cents nonnes portugaises de Jean V, ne sont rien en comparaison de ce que cesmaîtres autorisent, au ménage espagnol du plus grave intérieur, entre le lit et le prie-Dieu.
Une chose, chez ces docteurs subtils, est très-malsaine, c'est que leurs équivoques, et jusqu'à leurs réserves, sont autant de tentations. Ils accordent aux préludes des libertés glissantes qui vont fatalement droit à ce qu'ils défendent. Comme au bord de l'abîme, même la peur de tomber fait qu'on tombe. Mais dans la chute aucun repos. Le remords même est corrupteur. Il fait que le péché garde une âcre saveur et ne s'affadit pas, et le repentir même titille la tentation.
Nous venons de décrire ici Philippe V. Né honnête, et gardant une certaine loyauté de la France que n'a pas toujours le Midi, il a naïvement exprimé tout cela. Avec sa première femme, la vive Savoyarde, qui le tenait de haut, il ne fut qu'un mélancolique, enfermé, un peu maniaque. Avec la flatteuse Italienne, qui avait son but personnel, intéressé, et se courbait à tout, il eut de singuliers orages et de scrupules et de remords.
Ce but, tout politique, était souvent contraire à la foi de son mari. On l'a vu, en 1715, quand elle exigea qu'il s'offrît comme allié à l'hérétique. Et on le voit ici, en 1718. Au lieu de faire ce que ce prince dévot eût préféré certainement, au lieu de tenter d'abord la grande affaire
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